45. Retrouvailles

321 44 12
                                    

ELEA

Le brouillard a revêtu son épais manteau blanc en cette matinée de septembre. Ce jour où une dizaine de personnes et moi-même sommes réunis dans ce petit cimetière de bourgade. Ce jour où nous disons adieu à Georges Luquet.

En ces lieus Sont réunis le peu de famille et d'amis qui avaient oublié Georges durant ces longs mois de maladie. Et qui essaient de se remémorer leurs souvenirs en ce matin funeste.

Franny, aussi douce et gentille soit-elle , à répondu aux politesses et aux condoléances qui lui ont été présentées. Mais à cet instant devant le cercueil de son amour, et ce trou béant présent dans nos poitrines personne ne prononcera de discours.

Emmitouflée dans mon foulard, je ne prendrai pas la parole. Bien qu'aucun lien du sang ne nous unissaient, je peux pourtant affirmer que je connaissais bien Georges Luquet. Peut-être un peu mieux que la majorité de ces visages inconnus. Pourtant, je ne leur dirais pas à quel point il était un homme bon, ni à quel point je l'adorais. Je ne parlerais pas non plus de son fameux second degré, celui qui m'a tant faire rire et qui aurait congédié la plupart d'entre eux.

Car en ce jour la main frêle de sa femme se trouve dans la mienne. Et pas dans l'une des leur.

Non, je ne prendrais pas la parole, car comme le disait si bien mon patient, Rien ne sert de dire aux gens qu'on les aime lorsqu'ils ne sont plus de ce monde. Il faut en profiter, leur montrer lorsqu'ils sont à nos côtés. Et dans nos sourires, nos gestes tendres, Georges savait à quel point nous l'aimions.

Debout, face à sa dernière résidence, aucune larme ne sera versée ce matin. Je crois les avoir tellement retenues que je ne saurai plus où les trouver. Aucune ne s'est manifestée après les révélations d'Ethan, l'hospitalisation de Georges et son décès. Tout mon être semble anesthésié face au nombre de coups reçus ces derniers jours. Je ne sais pas quelle partie de mon corps ou de mon âme souffre le plus. Je ne suis plus qu'une enveloppe charnelle, une coquille vide. Épuisée et sans aucune ressource.

Alors, c'est à bout de forces que je dépose une rose blanche sur le cercueil de mon ami. Une de ces fameuses roses que Franny aimait faire naître et choyer. Une de celle brodée sur le costume de Monsieur Luquet, contre sa poitrine. Là où est sa place dans la mienne.

Adieu mon ami...

À leur tour, les visages inconnus défilent devant la petite tombe. Rassemblant leurs dernières pensées, taisant leur sentiment. Peut-être deviendrais-je alors un jour un de ces visages inexpressifs ? Incapable de ressentir la moindre émotion, annonçant en silence un dernier au revoir aux amis disparus, que j'aurais cessé d'aimer ?

Après ces derniers au revoir, c'est discrètement que je tourne les talons et prends le chemin du retour. En cette matinée fraîche, la rosée du matin fait rougir mes joues et glace mes mains. Les yeux fixés au sol, je compte machinalement les pas qui me ramènent à la réalité, ceux qui m'éloignent de plus en plus de Georges et d'une partie de moi laissée là-bas.

Mais lorsque je relève les yeux, mon coeur loupe un battement. Mes pas s'arrêtent net lorsque je devine une silhouette accoudée à mon véhicule. Mon esprit a besoin de quelques secondes pour assimiler ce que je suis en train de voir. Et mon cœur de reprendre une cadence adéquate.

Il est là.

Comme s'il n'était jamais parti. Son sourire enjôleur, ses boucles brunes et son fameux blouson de cuir posé sur ses épaules. Ainsi que sa façon bien à lui de relever le menton lorsque nos regards se croisent. D'une posture provocante, il m'attend comme si la vie devait se soumettre à lui à chaque instant. Je ne sais pas pourquoi, comment, ni pour combien de temps, mais Pierre est là. Comme s'il n'était jamais parti.

BreatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant