6 : Changement de programme

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Devant son air interrogateur, David crut bon de préciser :

— Je vais me resservir. Je prends votre verre ?

Emma le lui donna sans un mot. Elle n'osa rien dire, mais il s'apprêtait tout de même à boire un troisième whisky ! Il devait être sacrément contrarié, même s'il ne laissait rien paraître. Ou bien alcoolique.

Le CD prit fin. En passant devant la chaîne hi-fi, David le remit en route machinalement. Tandis qu'il remplissait leurs verres, il demanda :

— C'est vous qui avez décoré l'appartement ?

— Euh, oui.

— C'est étrange d'installer des décorations de Noël pour quelques jours à peine, non ? Surtout quand on n'est pas chez soi et qu'on est seule, de surcroît.

Outrée, Emma se défendit.

— Je ne trouve pas ça étrange. J'adore cette période de l'année. Si je ne vois pas de sapin ou de guirlandes, c'est comme si ce n'était pas Noël. Moi, ce que je trouve étrange, c'est que vous n'ayez mis aucune décoration. Comme si Noël n'existait pas.

Après un court instant, elle ajouta avec dédain :

— Mais ça vous dépasse, sans doute. On ne peut pas dire que votre appartement reflète l'esprit de Noël ou la chaleur humaine.

Elle n'avait pu s'empêcher d'envoyer une pique à cet homme désagréable qui semblait sans cœur. Elle garda cependant pour elle la fin de sa remarque, qu'elle pensait pourtant très fort : autant votre appartement que vous, d'ailleurs.

— Pourquoi dites-vous que ça me dépasse ? demanda David en lui tendant son verre. J'étais censé partir pendant les fêtes, vous vous souvenez ? Je n'aurais donc pas beaucoup profité d'un sapin. Par ailleurs, sachez que j'apprécie la période de Noël. Seulement, je pense que tout ce décorum est plutôt réservé aux enfants. Quand j'en aurai, je mettrai aussi un sapin et toutes ces choses, là, ajouta-t‑il en montrant d'un geste vague les ornements scintillants.

Décidément, il ne comprenait rien à rien ! Et sa façon de considérer avec mépris ses décorations de Noël était horripilante. Emma savait qu'elle ne devait pas prendre la déclaration de David autant à cœur, mais il fallait qu'elle défende ses convictions. C'était plus fort qu'elle.

— Eh bien, je ne suis pas d'accord. Noël, c'est pour tout le monde. Ça ne se résume pas à acheter des jouets aux enfants. C'est un temps de partage, de générosité, de fête. Tout le monde est plus heureux à Noël.

— Vraiment ? Ce n'est pas plutôt la saison qui connaît un pic de suicides ?

— Ce que vous pouvez être cynique ! s'emporta Emma. C'est tellement facile, ce discours.

— Facile ? Plutôt réaliste, non ?

Emma, qui avait un avis très tranché sur la question, rétorqua d'un ton solennel :

— Je crois que, de nos jours, ça demande beaucoup de courage de faire preuve de bienveillance et d'optimisme.

— Du courage ? Laissez-moi rire ! Je suis peut‑être cynique, mais vous, vous êtes naïve.

Emma bouillait intérieurement.

— À la façon dont vous le dites, on croirait que naïveté rime avec bêtise. Mais c'était prévisible ! J'imagine très bien par quel prisme vous voyez le monde : « Chacun pour soi et que le meilleur gagne. » « Il y a les gagnants et les perdants. » « La vie est dure pour tout le monde. » « Tout est une question de volonté. » Etc. Je connais ce discours par cœur. Ce n'est pas du réalisme, c'est de l'individualisme de privilégié. J'imagine que vous vous achetez une conscience en donnant de temps en temps aux bonnes œuvres, railla-t‑elle, acide. En plus, c'est déductible des impôts.

Opération guirlandes, sapin et chocolat chaud Tome 1Where stories live. Discover now