Chapitre 11

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La course effrénée d'Evvie à travers les couloirs se termina sur son lit. Elle se jeta sur le matelas, et enfonça son visage dans les coussins pour étouffer des sanglots de douleur. Vaguement, elle entendit la porte qui s'ouvrait, puis qui se refermait, et sut instinctivement que c'était son frère. Il entra dans la pièce sans rien dire, alla silencieusement jusqu'à la fenêtre et ferma les rideaux, puis souffla les bougies. L'obscurité envahit la chambre, couvrant tout d'un voile noir imperméable. Evvie se redressa légèrement, et laissa libre cours à sa magie. Les illusions qui la masquaient continuellement se dissipèrent. Son visage reprit son apparence « normale » : à demi humain, à demi rongé par la pourriture.

– Ça ne fait que cinq jours, marmottai Eirik à sa gauche, perturbé.

Elle acquiesça, renifla.

– Ça devient de plus en plus douloureux, murmura-t-elle.

Elle leva prudemment la main gauche, à peine gênée par le manque de lumière. Contrairement à son frère, elle voyait parfaitement dans le noir. Et elle commençait à avoir l'habitude de ses crises, même si récemment, elles se rapprochaient et s'intensifiaient de façon assez effrayante. Elle revenait de plus en plus souvent à sa forme cadavérique. Comme son bras, actuellement. Quelques morceaux de chair en décomposition restaient encore accrochés aux os, et dégageaient une intense odeur de cadavre.

Eirik se rapprocha, s'assit sur le lit.

– Ça va ?

Evvie sourit faiblement.

– Je les contiens.

Eux. Les fantômes. Elle en voyait depuis qu'elle était née. C'était souvent parce que les esprits des gens demeuraient attachés à un lieu en particulier. Au château d'Arendelle, il y en avait quelques uns. Principalement des membres de la famille royale, qui veillaient sur leurs descendants. Et l'un d'entre eux en particulier suivait toujours sa mère, où qu'elle aille. Un autre faisait la même chose avec sa tante Anna. Evvie les avait vus à plusieurs reprises sur les tableaux de la famille royale. Idunn, sa grand-mère, et Agdar, son grand-père.

Souvent, ces fantômes voulaient entrer en contact avec les vivants. Dans ces moments-là, ils venaient voir la jeune princesse, et s'accrochaient à elle. Les plus violents essayaient d'aspirer son énergie vitale pour apparaître en tant qu'ectoplasmes ne serait-ce que quelques secondes. Idunn et Agdar, en revanche, ne l'avaient jamais fait. Ils se contentaient d'être des veilleurs silencieux, et d'observer chacun des gestes de leurs filles. Tous deux dégageaient une profonde mélancolie, une tristesse silencieuse qui transparaissait à chacun de leurs gestes. Sans doute celle de ne pas avoir pu veiller sur leurs enfants et les aider à grandir.

Aujourd'hui, six fantômes s'accrochaient à Evvie. Trois bourgeois de la ville, morts récemment, qui voulaient parler avec leurs descendants, deux servantes qui avaient vécu un demi-siècles auparavant, et une femme. Les bourgeois se faisaient pressants, tandis que les trois femmes se contentaient de la suivre.

– Allez-vous en, souffla Evvie avec une grimace de douleur.

Elle mit toute son énergie dans ces mots, et cinq d'entre eux disparurent en se volatilisant. Seule la dernière femme demeura. Les coins de sa bouche se plissèrent, seuls signe de la souffrance que causait sa résistance. Eirik ne broncha pas, habitué à ce que sa sœur parle à des êtres qu'il ne voyait pas. La femme secoua la tête, mais s'éloigna de quelques pas pour que sa présence affecte moins la princesse. Evvie comprit qu'elle voulait rester, et acquiesça.

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Elsa accéléra le pas, et sortit finalement au grand air, dans les jardins du palais. Elle hésita un bref moment, puis se pivota brusquement vers le kiosque blanc, sûre de trouver celui qu'elle cherchait là-bas. Et, comme elle s'y attendait, elle le reconnut immédiatement. Il était assis sur le banc, coudes appuyés sur la table, regardant fixement dans le vide.

Les Ténèbres dans nos Cœurs / Partie 2 : Beyond all known realmsWhere stories live. Discover now