Chapitre 1

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   Tous les jours se poser les mêmes questions. Toutes les nuits, chercher les mêmes réponses. Dans la tempête, quelle est l'ancre qui me retient à la limite de la noirceur de mon âme ? Je n'ai jamais trouvé la réponse. C'est pour ça que je m'en vais la chercher ailleurs.

   Je m'assois sur le banc ombragé sous l'arbre, juste en face de l'université dans un long soupir et m'allume une cigarette. Habitude malsaine que de sentir cette fumée étouffante pénétrer mes poumons. J'observe les derniers élèves quitter l'université, se saluer et partir d'un côté différent. Je les regarde de loin, et je sais que ce soir ils raconteront des calomnies les uns sur les autres comme de parfaits hypocrites avides de rumeurs toutes plus excentriques les unes que les autres. C’est sans doute l’une des choses qui me manquera le moins, une fois que j'aurais quitté ce pays pour de bon.

   Un léger vent détache la cendre de ma cigarette et la fait danser dans l'air. J'ai l'impression que la valse à durée un long moment. Je ferme fort les yeux. Dans le noir de mes paupières, mon imagination dessine le visage de ma soeur. C'est sûr, cette fois elle va me tuer. Quand je vois sa voiture noire arriver au loin, je roule du regard et tire une profonde taffe sur ma cigarette avant de me lever et de l'écraser sous ma basket. Elle freine brusquement et me regarde à travers la vitre teintée d'un air contrarié. Je fais mes adieux à cette école et traverse la route d'un pas nonchalant. Elle klaxonne. Je soupire et monte sur le côté passager. J'ignore son regard braqué sur moi, et fixe par la fenêtre d'un air détaché.
-Pourquoi ?
   Ma soeur à parlé le plus calmement possible, mais le désespoir est perceptible dans sa voix. C'est reparti. Je me tourne vers Jane et la regarde brièvement avant de m'avachir un peu plus sur le siège en remontant ma capuche sur la tête. J'attrape une mèche de mes cheveux et la fait tourner autour de mon doigt, attendant désespérément qu'elle finisse de me sermonner. J'ai perdu le goût de me battre avec elle sur les mêmes sujets. Encore, et encore.
-Qu'est-ce que je vais faire de toi Sara ? Hein ? C'est la troisième école dont tu te fais virer pour comportement violent. Je m'efforce de faire les choses bien pour que tu t'en sortes et tu me fais ça, à moi ?
   Sa  voix est exaspérée et plus aiguë sur la fin. Je soupire à nouveau et lève les yeux au ciel. Je n'ai pas envie de m'engager dans une conversation avec elle, comme on en a déjà eu des centaines de fois. Elle ne comprendrais pas, même si je la soupçonne de simplement ne pas vouloir comprendre ce que je me tue à lui dire depuis de nombreuses années.
    Je prend une grande inspiration, comme si ça me tuait de devoir respirer l'air lourde de la voiture et dis :
-On peut juste rentrer, s'il te plait ?
   Elle soupire et me fixe un long moment en tapotant son pouce contre le volant.
-C'est ça que tu veux ?
   Je tourne ma tête vers elle d'un air interloqué.
-De quoi ? Dis-je en fronçant les sourcils.
-Tu veux retrouver ton frère, je me trompe ? Retourner à Rio, vivre de grands moments avec celui qui a décidé de nous abandonner après la mort de papa et maman ?
   Je détourne le regard et triture le fil qui dépasse de mon gilet. Elle donne un grand coup dans le volant, ce qui me fait sursauter, puis elle se met à hurler :
-Je ne sais même pas s'il est mort ou vivant et tu  veux que je t'envoie là bas, pour risquer ta vie ? On a quitté le Brésil pour t'offrir une vie meilleure et toi tu veux y retourner ? Putain, mais qu'est-ce qui va pas chez toi ?
   Trop de choses ne vont pas.
-Ma vie n'est pas ici, Jane, dis-je sèchement.
-Elle n'est pas là bas non plus, c'est ça que tu n'arrives pas à comprendre !
   Je souffle, fatiguée de toujours avoir la même conversation acharnée avec elle et me pince l'arrête du nez, tentant désespérément de garder mon calme. Mais je sens cette douce pression amère me remonter dans la gorge.
-Dépose moi juste à la maison, tu veux, j'suis crevée.
-C'est sûr que casser le nez de quelqu'un doit être très fatiguant, n’est-ce pas ?
   Elle croit pas si bien dire, j'ai encore mal aux articulations. Mais cette fille l'avait cherché, je ne frappe pas gratuitement. Du moins, pas encore. Jane démarre brusquement la voiture et le retour jusqu'à l'appartement se fait en silence. A part ses reniflement et ses marmonnements en portugais, nous ne nous sommes plus adressé la parole. C'est mieux ainsi, je suppose. Quoi je dise ou que je fasse, je ne fais que la rendre davantage plus triste. On est un poison l'une pour l'autre. Pourtant, ça serait tellement plus facile, autant pour elle que pour moi, de me laisser partir à Rio rejoindre notre frère. Jane et moi sommes trop différentes pour vivre de façon harmonieuse sous le même toit pour passer une journée sans se disputer. Elle attire la sympathie et je ne connais pas plus sociable qu'elle. Moi, tout ce que j'attire, c'est les problèmes. La sympathie, rien à faire.

INCANDESCENCEWhere stories live. Discover now