7.6 : Plus loin, quelque part''

737 146 9
                                    

Alors que l'homme en jean s'éloignait et traversait les colonnades épiques, une présence l'arrêta net.

L'autre, qui attendait patiemment à l'angle du parvis, fit un pas en avant. Le premier s'immobilisa pour lui faire face.

— Gabriel, salua-t-il, une légère ironie dans la voix.

— Lucifer...

Ils se toisèrent avec toute l'animosité qu'ils ressentaient l'un pour l'autre.

Puis Lucifer grimaça.

— Je préfère Nox, indiqua-t-il. Lucifer, c'est désuet... et puis, il y a longtemps qu'il n'y a plus de lumière en moi...

— En effet...

Les deux hommes restèrent un long moment à se dévisager, aussi semblable que des ménechmes et pourtant si différents. L'un brun comme la nuit, l'autre d'une blondeur dorée. Ils étaient nés de la même main, mais avec des dons discordants. Ils avaient été frères, s'étaient aimés, avant de se faire la guerre.

Aucun des deux ne voulait céder devant ce combat silencieux. Le temps resta suspendu, étouffé par son propre mouvement inaltérable. Une seconde d'éternité avait passé lorsque Lucifer décida de poursuivre son chemin.

— Au plaisir de te revoir, mon frère... fit-il en dépassant Gabriel.

— Sur le champ de bataille.

Lucifer se figea pendant une seconde, et pencha la tête de côté.

— Sur le champ de bataille, confirma-t-il, un rictus au bord des lèvres.

Gabriel observa son frère disparaître avant de se diriger vers le vieil homme, à son tour. Comme à son habitude, il resta silencieux et patienta, les mains croisées dans le dos. Gabriel avait toujours été le plus fidèle de tous, placide et obéissant. Certains disaient qu'il était le préféré. Le plus beau aussi. Si tant est que l'enveloppe charnelle qu'il utilisait puisse le définir.

— Nous allons devoir nous battre, Gabriel.

Ce dernier hocha la tête.

— Michael prépare les légions. Nous n'échouerons pas.

Le vieil homme se tourna vers lui.

— L'équilibre doit persister, tu le sais. Aucun des deux camps ne remportera de victoire.

Gabriel ne dit rien. Il connaissait les préceptes.

Il prit une inspiration.

— Lucifer... commença-t-il.

Le vieil homme le scruta avec intensité. Il connaissait sa pensée avant même que l'Archange ne l'ait formulée.

Il leva un doigt, intimant le silence aussi sûrement que s'il l'avait bâillonné. Gabriel resta coi.

— Son concours est essentiel, et le sera toujours.

Gabriel secoua la tête. Après autant de temps passé auprès de lui, il avait encore du mal à embrasser ses desseins.

— Mais...

La question demeura en suspens. Silencieuse et pourtant posée depuis des milliers d'années. Personne ne remettait en cause son choix.

— Aucun d'entre-vous n'aurait supporté ce poids.

Gabriel savait, néanmoins il secoua la tête.

— Il est corrompu, murmura-t-il avec une pointe de désespoir.

Le vieil homme eut un sourire triste qui reflétait toute l'étendue de sa commisération.

— Il est aussi pur qu'au premier jour... et nous avons besoin de lui.

L'Archange resta silencieux, ressassant ses pensées et ses tourments. Comment admettre que son frère lui manquait ? Sa force, sa bravoure et son dévouement. Son absence avait ouvert un vide en lui.

— Que penses-tu d'elle ?

La question le prit au dépourvu et il se détourna de la voûte céleste.

— Je crois que Clover a payé sa dette, il est temps de la libérer.

Le vieil homme eut presque un sourire ironique devant l'opinion de l'Archange, et ce dernier se rendit compte de son erreur.

— Bien sûr, ce n'est pas à moi d'en décider...

Ses lèvres s'étirèrent alors franchement.

— Je parlais de Saheratiel.

Gabriel rougit. Il réfléchit un instant et prit le temps de peser ses mots.

— Elle est très impliquée.

— Trop ?

Gabriel ne put réprimer une grimace.

— Elle était présente lorsque cela s'est passé, elle ne pourra jamais oublier.

Il soupira. Pour un peu, Gabriel aurait pu penser que cette histoire le minait. Mais il savait très bien que tout ce qu'il se passait n'arrivait pas sans raison. Tout était considéré, jugé, soupesé. Il faisait en sorte que certaines choses se déroulent. Il était le seul à connaître le dénouement. Lui, et l'Autre...

— Surveille-la, fit-il enfin, après un long moment de silence. J'ai bien peur que son chemin ne  s'éloigne du nôtre.

Les Arcanes de la Terre [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant