chapitre 1

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Été 2016, Wimereux.

L'été était frais, si frais que même en fermant les volets et les fenêtres, le froid arrivait à entrer dans la maison. Il rappelait l'hiver de 2003. A cette époque, une amie d'Anna était enceinte. Elle se souvenait, des longues et insupportables journées qu'elle avait dû passer. Se remémorer ce souvenir lui donna des frissons. Tout ce qui était avant sa mort devait être oublié, c'était vital.

Anna rangea les quelques objets qui traînaient encore, c'était une manie chez elle. Ranger pour ne plus voir le désordre. Ranger pour oublier qu'on ne rangera plus jamais les affaires de son enfant. Elle s'assit sur une chaise, et posa son coude sur la table. Son visage, creusé, témoignait du temps passé à consacrer sa vie à celle de sa famille.

Elle regarda son mari, Sam. Il somnolait paisiblement sur un siège en face de la cheminée.

On leur avait déjà dit, dans le passé, qu'ils ressemblaient au couple parfait. Ce couple dans lequel aucun sujet n'était tabou ; ce couple dans lequel aucune dispute ne se terminait sans excuse. Les gens, qui n'étaient pas au courant de leur histoire, continuaient à dire qu'Anna et Sam représentaient le couple parfait. Il fut une époque où, bien sûr, ce devait probablement être vrai.

Se remémorer ces souvenirs donnait à Anna ce goût d'amertume, de ressentiment. Leur couple parfait, leur famille parfaite avaient flanchés, depuis sa mort.

De toute manière, depuis sa mort, beaucoup de choses avaient changé. Tout d'abord, les regards, dès que Chloé les regardait, elle avait dans ses yeux une lueur de culpabilité et de désespoir. Puis les repas, petit à petit les silences devenaient plus pesants, plus lourds. La plupart des dîners se déroulaient dans une ambiance glaciale. Plus personne n'osait se regarder. Ils baissaient la tête et mangeaient, simplement.

Il faisait noir dans la maison. Seule la cheminée éclairait faiblement la pièce. S'il ne dormait pas, Sam aurait pu voir la détresse et le désespoir qui hantaient les yeux d'Anna.

La sonnerie du téléphone brisa le silence qui hantait autant la pièce que son esprit. Anna s'extirpa avec difficultés de ses pensées. Il arrivait souvent qu'elle s'égare, perdue au milieu de remords et de souffrances.

Elle se leva puis se dirigea vers son téléphone, posé sur le buffet du salon. Elle regarda l'écran, il affichait : numéro inconnu.

- Allô ? Ai-je bien Anna Beaulier au téléphone ?

Anna frissonna. La voix, malgré sa faiblesse, était masculine. Elle entendait une pointe d'amertume dans le ton de cet homme. Elle reconnaissait cette voix, évidemment qu'elle la reconnaissait. Cette voix lui rappelait sa mort. Elle lui rappelait d'horribles choses. Devrait-elle raccrocher ? Et puis, comment avait-il réussi à l'appeler ? C'était impossible. Ils avaient coupé les ponts.

- Pardon ? Ai-je bien Anna Beaulier au téléphone ? Répéta la voix.

Nouveau frisson. Un éclaircissement de voix, un instant de doute puis une réponse :

- C'est bien moi. Qui est-ce ?

Le silence s'installa entre Anna et son interlocuteur. Avait-il peur de lui dévoiler son identité ou était-ce simplement elle qui ne voulait pas être sûre de ce qu'elle savait déjà ?

- C'est moi, ton frère.

- Vous n'êtes pas mon frère, s'empressa-t-elle de répondre. Je n'ai pas de frère.

Tu as tué Claire Where stories live. Discover now