Trente-et-un

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Ambre

(17 septembre)

" Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu."

Bertolt Brecht.

___

Je me baisse, esquive son bras et me relève.

- C'est bien, tu commences à t'adapter. Tu dois absolument observer ton environnement, m'explique Adam.

Mes blessures superficielles quasiment guéries, Adam a mis au point plusieurs exercices de réflexes. Je dois m'adapter à ne voir que d'un seul côté. Je dois m'habituer à toutes les situations de la vie : quand je marche dans les rues de Paris, quand je vais en cours, quand je prends le métro, n'importe où.

Tu dois utiliser ton handicap comme une force, m'a-t-il dit.

À ce moment-là, j'ai repensé aux paroles de Morgane avant son décès. Elle m'avait dit que je n'abordais pas la maladie par le bon angle. Peut-être que je prends mon handicap par le mauvais, aussi ? Peut-être qu'on me met au défi ? J'aime les défis. Ce que j'aime encore plus ? Les relever avec brio. Je n'ai plus peur de mon handicap, plus peur d'affronter le regard des autres.


Si la vie a voulu me mettre à terre, je suis navrée de lui apprendre qu'elle n'est parvenue qu'à me rebooster. Je vais vaincre mon handicap, je vais m'en servir comme d'une force.


- Quand un boxeur est sur le ring, Ambre, il ne s'abaisse pas à quelques coups de poing. Il a mal, il souffre, il endure, mais il se relève toujours. Le mental est le plus important, le plus crucial, lance-t-il avant d'envoyer son poing gauche en direction de ma joue.

Je l'esquive un peu moins vite, cette-fois ci, car mon champ de vision ne l'a pas tout de suite repéré.

Toujours se concentrer, toujours s'informer : c'est noté.

- Le mental est ton équilibre, ta force. Sans lui, tu ne te lèverais même plus le matin.

Je ricane parce qu'il a parfaitement raison. Je crois que sans son aide, sans son amour, j'aurais déjà atteint les profondeurs de l'océan.

Adam en profite pour me prendre par surprise. Cette fois, je ne vois pas l'attaque venir. Mon souffle se coupe. Son poing pile juste devant mon nez.

- Ne jamais te déconcentrer.

Je déglutis péniblement.

- Tu dois développer d'autres capacités pour te repérer, te guider et t'informer. Sers-toi de ce que tu as, puise là-dedans, lance-t-il en pointant mon coeur de l'index. On a voulu t'enlever un de tes sens ? Très bien, pioche dans un autre. Tu as plein de ressources, ma voleuse. Il suffit simplement de te concentrer pour les repérer.

J'acquiesce.

- Ferme les yeux.

- Pourquoi ?

- Ferme les yeux, Ambre.

Je sais que lorsqu'il m'appelle par mon prénom, c'est qu'il ne plaisante pas. Alors, je m'exécute, parce qu'avec lui être aveugle n'est plus un poids. Adam fait de mon handicap quelque chose de normal, quelque chose de plus beau. Il l'embellit.

- Maintenant, concentre-toi au maximum. Utilise ton ouïe.

Je presse mes paupières et tends l'oreille à l'affût d'un murmure. J'entends le bruit de l'ascenseur au fond du couloir, le bruit de talons dans les escaliers de notre étage, le tic-tac de l'horloge et la respiration d'Adam. À moins que ce soit la mienne. Puis, légèrement, très légèrement, je perçois son bras se lever. Je ne sais pas s'il s'agit du bras droit ou gauche, mais je sais ce qu'il me reste à faire.

Double A (Tome 2 : Deux mois pour se retrouver)Where stories live. Discover now