Chapitre 26 : Le choix

2K 196 16
                                    

On dit que la nuit porte conseil, qu'elle permet souvent d'avoir des idées plus claires le lendemain. Encore une fois, je détestais ces "on-dit", parce que, non, je n'y voyais pas plus clair. J'avais bien trop de questions à l'esprit et toujours aucune réponse. Et j'avais beau faire de nombreuses recherches, je n'arrivais pas à me persuader de quoi que ce soit.

Enfin, je savais une chose : je tenais à Lucine, bien plus que je ne pourrais jamais l'admettre. Cette fille était loin de me laisser indifférente, ce qui était une première dans ma vie...

À l'arrêt du bus, je profitai de ma 3G pour continuer de parcourir quelques sites et en apprendre davantage. Saphira m'adressa un bref regard méprisant, j'en étais à peine étonnée. Bien que j'avais pu me rapprocher de Rachel, sa bande n'allait pas m'accepter non plus. Mais contrairement à d'habitude, je lui souris, comme pour lui montrer que je m'en fichais ou par pure provocation. L'un ou l'autre n'était certainement pas la meilleure manière d'agir ; heureusement que je m'en fichais.

Comme toujours, j'avais pris ma place préférée : au fond, tout en espérant croiser Lucine du regard quand elle monterait. Elle obsédait toujours mes pensées et j'avais envie de lui en parler... Non, j'avais besoin de lui parler. Mais je ne voulais pas non plus l'obliger à avoir une quelconque discussion. Peut-être qu'elle allait juste m'éviter jusqu'à la fin des temps et étrangement, je pouvais le comprendre, même si ce n'était pas facile.

Mais je ne la vis pas dans le bus ce matin. Je la croisai dans la salle de cours, installée à l'opposé de notre habituelle place. C'était probablement fini entre nous. Nous ne pourrions même pas échanger la moindre discussion, plus rien... Et c'était bien la première fois que la solitude me pesait tant. Je fus donc incapable d'écouter quoi que ce soit du cours. Ma feuille était juste remplie de dessins sans la moindre note utile. Tant pis pour le cours... et je savais que je me démerderais autrement pour les exams en fin d'année.

À la sonnerie, Lucine vient me voir, assez embarrassée. Sa venue me déstabilisa quelque peu et je perdis mes mots tout en m'arrêtant dans mes mouvements, arrêtant de ranger mes affaires.

— Est-ce qu'on peut parler ? s'enquit-elle en serrant fermement les bandoulières de son sac à dos.

Je hochai timidement la tête, finis de ranger mes affaires et la suivis silencieusement. Elle m'emmena dans un coin devant l'école, à l'abri de la plupart des regards et oreilles. Comprenant que la situation était compliquée, je sortis une cigarette tout en lui demandant si elle n'y voyait pas d'inconvénients. Elle secoua la tête et j'allumai ma clope tout en attendant impatiemment ce qu'elle comptait me dire.

— Hum... Ce que je t'ai dit hier... Tu ne le répéteras pas ? me demanda-t-elle, triturant ses doigts entre eux.

— Non... Bien sûr que non. Jamais je n'irais dire quoi que ce soit...

— Merci, souffla-t-elle, soudainement soulagée.

— Mais... C'est normal que je ne dise rien sans que tu le veuilles, tu ne devrais pas me remercier pour ça.

Elle m'adressa un timide sourire, comme si ça l'avait vraiment rassurée.

— Sinon, j'ai fait quelques recherches dernièrement, ajoutai-je. Enfin... Je me suis surtout posé des questions...

— Comment ça ? s'étonna-t-elle en arquant un sourcil.

— En fait... J'ai quelques doutes sur moi... Euh... J'ai pas trop envie de te déranger avec tout ça non plus...

— Ça arrive de se poser des questions, tenta-t-elle de me rassurer.

— Pendant un instant, tu m'as considérée comme une hétéro curieuse–

— Désolée, je n'aurais pas dû, m'interrompit-elle.

— Ce n'est pas grave... Enfin, je me suis mise à me questionner dessus. Est-ce que... je suis vraiment hétéro ? Mais je n'ai toujours pas de réponse à cette question... J'aimerais avoir une réponse tout de suite, mais visiblement, ce n'est pas aussi simple que ça, enfin pour moi... Désolée, c'est assez confus tout ça pour moi.

— Ne t'en fais pas. C'est normal. Je ne t'apprendrais rien si je te dis qu'on vit dans une société hétéronormée, dans une société qui va invisibiliser tout ce qui n'est pas hétéro... et rien que ça, c'est suffisant pour ne pas y voir clair quand on ne suit pas les normes de la société. Je me suis posée des tas de questions aussi... Mais les réponses finissent toujours par venir.

Je hochai la tête, assimilant petit à petit tout ce qu'elle venait de me dire. Visiblement, les choses prendraient du temps avant d'être claires. J'allais devoir subir encore bien trop de moments d'hésitation et de doutes. Pour l'instant, je ne savais qu'une chose : que je n'étais définitivement pas comme les autres et que je pourrais en pâtir toute ma vie. Cette pensée, bien que brève, me fit froid dans le dos.

— Est-ce que tu veux tenter quelque chose entre nous ? me demanda-t-elle timidement.

Ma clope coincée entre mes lèvres, je la fixais d'un air ahuri. Jamais je n'aurais cru qu'elle me propose de sortir avec elle. C'était si soudain. Puis la surprise laissa place à un sentiment bien plus agréable.

— Oui, répondis-je naturellement.

Le Spleen du CygneWhere stories live. Discover now