Chapitre 1

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Donna – Toujours étudiante

Je posai mes mains sur la tasse de chocolat chaud que le serveur m'avait apportée. J'humai avec délectation l'odeur savoureuse qui s'en échappait tout en me régalant d'avance. Dylan, assis à côté de moi, me regardait faire tout en esquissant un sourire mi-amusé mi-moqueur, tandis qu'Amélie et Sadia, trop habituées à mes mimiques, ne me calculaient même pas. Leur attention trouva plus opportun de se concentrer sur leur café respectif.

— Euh... Donna, m'interpella mon petit-ami. Tu comptes le boire ton chocolat ou le snifer ?

— Chut ! Je le savoure grâce à tous mes sens, répliquai-je.

Il n'y avait rien de meilleur dans la vie que boire un chocolat chaud sur la terrasse d'un café en plein cœur de Toulouse, un vendredi soir de fin octobre. Le début de l'automne était généralement doux dans le Midi, nous offrant un été indien typiquement méditerranéen. Malgré tout, la température était assez basse pour nous inciter à porter des vestes et à troquer petit à petit les boissons fraîches contre les chaudes.

J'adorais cette période de l'année où le vent balayait les feuilles mortes. On les entendait rouler sur le pavé des rues dans un frottement particulier qui nous rendait nostalgique de la saison estivale. À l'approche d'Halloween, l'air se chargeait d'une touche de mystère et d'une ambiance crépusculaire parfaite pour tourner un court-métrage de terreur avec une pointe de fantastique.

Notre groupe de travail était en ce moment sur ce projet excitant. La partie la plus intéressante serait le tournage de nuit en plein cœur du cimetière de Terre Cabade – communément appelé « cimetière de la Gloire » du nom d'une rue parallèle –, l'un des plus vieux de Toulouse. De quoi nous ficher des frissons d'angoisse !

Perdue et heureuse dans mes pensées, j'écoutais d'une oreille distraite Dylan demander à Amélie et Sadia si elles avaient prévu de fêter Halloween la semaine suivante. Elles répondirent être incertaines, puis il y eut un silence jusqu'à ce que mon copain, le regard fixé sur son cappuccino, ne lâche une phrase – ou plutôt la phrase – qu'il ne fallait pas.

— Je me demande si l'approche de la fête des morts donne plus de boulot à Nathan ou pas ? chuchota-t-il pour qu'Amélie et Sadia qui parlaient entre elles n'entendent pas.

La brise qui souffla à cet instant emporta mon allégresse avec elle. Je me tassai sur ma chaise et me renfrognai aussi sec sous le regard attristé de Dylan. J'avais très mal vécu la disparition de Nathan, sept mois auparavant, que je prenais comme une trahison. J'avais risqué ma vie pour l'aider au mieux, même si je n'avais pas de pouvoirs ; et lui, il avait simplement vidé son appartement du jour au lendemain sans laisser une adresse où le trouver.

Bon, d'accord, j'avais passé outre sa volonté car je m'étais incrustée malgré sa désapprobation, mais tout de même ! Je pensais qu'à force, il m'aurait traitée comme une véritable amie...

Dylan caressa mes longs cheveux bruns pour me réconforter. Il semblait si désolé de m'avoir rappelé ce souvenir que je me sentis coupable de lui faire de la peine. Je me redressai donc sur ma chaise et lui souris.

— C'est rien, assurai-je. Je finirai bien par l'oublier, moi aussi.

— Qui ? questionna Amélie.

— Nathan, répondis-je.

Je leur avais parlé du déménagement soudain de mon exorciste sans entrer dans les détails. Elles avaient très bien vu, à l'époque, que j'étais déprimée alors j'avais justifié mon état comme j'avais pu.

— Tu as réessayé de l'appeler ? me demanda Sadia.

— Pas depuis trois semaines et je suis tombée sur son répondeur, encore. Au moins il n'a pas changé de numéro de téléphone...

— Mais il ne te répond pas, compléta Amélie.

— Je crois que j'aurais préféré qu'il change de numéro, avouai-je d'une voix faible.

Mon vague à l'âme soudain ôta tout charme à mon chocolat chaud. À coup sûr, il me semblerait moins savoureux.

— Et Michaël, tu le vois toujours ? s'enquit Sadia.

— On boit un verre ensemble régulièrement.

Michaël avait oublié ses sentiments pour Nathan en même temps que Nathan lui-même et il semblait totalement avoir refoulé son attirance pour les hommes. Il était redevenu le Michaël que j'avais retrouvé neuf mois auparavant. Enfin, presque, vu qu'il n'avait pas renoué avec Clara. Il se rappelait l'avoir larguée même si les détails lui échappaient. Il était mieux tout seul, c'était ce qu'il retenait de l'histoire et c'était largement suffisant.

Un soupir las m'échappa au souvenir de tout ce que nous avions vécu et qui s'était arrêté du jour au lendemain. J'avais l'impression d'avoir perdu une partie de ma vie, la plus passionnante. Avec Nathan, nous nous étions beaucoup inquiétés, nous avions pas mal eu peur – surtout moi – mais nous nous étions tous tellement rapprochés. Grâce à lui je pouvais me blottir dans les bras de Dylan, Michaël et moi nous voyions régulièrement, souvent pour rien sinon pour le plaisir d'être ensemble. Avec son départ et les dangers de sa vie, notre amitié n'était plus mise à l'épreuve. La présence de chacun était acquise au point de nous faire oublier qu'elle était une chance que nous devions préserver et entretenir. Il n'était plus là pour nous rappeler qu'une existence ne se compte pas en grands moments mais se vit à chaque instant.

Tandis que je me perdais dans mes pensées, Amélie et Sadia nous abandonnèrent le temps pour elles d'aller se rafraîchir, nous laissant Dylan et moi libres de parler sans entrave.

— Ça me manque, confessai-je soudain. Ce qu'on vivait avec Nathan et cette idée qu'on était prêts à tout pour vivre, pour protéger les autres.

Dylan déposa un baiser réconfortant dans le creux de mon cou :

— La vie trace sa route sans nous attendre, à nous d'accepter les changements qu'elle impose et de faire avec.

— Ouais... T'as raison.

— Tu devrais boire ton chocolat, il va être froid, me conseilla-t-il dans l'espoir, je le savais, de focaliser mon attention sur autre chose.

Il avait raison, je devais arrêter de ressasser le passé pour me concentrer sur le présent. Mes amis étaient encore là, je comptais bien profiter d'eux au maximum. Cette idée en fit naître une autre.

— Au fait, les filles, les interpellai-je dès qu'elles revinrent s'asseoir. Demain soir on tourne dans le cimetière de la Gloire, ça vous dit de venir ?

— Le cimetière n'est pas fermé le soir ? demanda Sadia.

— On a demandé une autorisation à la mairie, renseigna Dylan. On a le droit d'y rester jusqu'à vingt-deux heures.

— Qu'est-ce qu'on irait faire dans un cimetière en pleine nuit ? questionna Amélie.

— Se faire peur ! répondis-je avec entrain.

— Scooby-Doo, sors de ce corps, répliqua Sadia sur un ton léger.

— En fait j'ai plus l'impression que Donna est un mélange entre Fred et Scooby, non ? s'interrogea Dylan. D'un côté elle est attirée par le danger et d'un autre c'est la pire des froussardes.

— Hé ! Je suis pas froussarde, contrai-je. Je suis juste plus sensible à la peur que la moyenne.

— Mais tu es aussi plus têtue que la moyenne, ajouta Amélie, un grand sourire aux lèvres.

En temps normal, c'était vrai. Pourtant j'avais aussi mes limites. Parfois, moi aussi je baissais les bras, comme avec Nathan. Je n'avais plus la force de l'attendre, de le guetter à chaque coin de rue ou sur la place Saint-Sernin. Je devais me rendre à l'évidence : il me fallait tirer un trait sur lui.

CDSE 3 - Le Repos des MortsWhere stories live. Discover now