Chapitre 5

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Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Je me rendis au cimetière de la Gloire à la faveur du dernier quartier de lune de ce soir d'octobre. Aprilia me suivait en silence dans les allées et ses yeux rouges, dans la pénombre, avaient quelque chose d'inquiétant. À dire vrai, beaucoup de choses m'inquiétaient en ce moment dont le dernier message laissé par Donna sur mon répondeur.

J'atteignis rapidement l'endroit où avait eu lieu l'attaque. L'Ordre avait fait jouer ses relations pour que rien ne soit touché et que j'aie l'autorisation de venir de nuit car si nouvelle attaque il devait y avoir, elle aurait lieu après le coucher du soleil. Le faisceau de ma lampe torche éclaira le sol que des larges trous éventraient. Je m'accroupis pour mieux les examiner. Si les morts avaient été récentes, l'odeur de décomposition aurait envahi la moitié de la ville car les anfractuosités menaient jusqu'aux cercueils où les squelettes s'étaient recouchés.

— Tu ne sens rien de spécial ? demandai-je à Aprilia.

— Non.

— Je n'aime pas ça.

J'avais été éduqué toute ma vie à combattre les démons, à pratiquer la foi pour contrer l'Enfer mais l'art de la magie était différent. Ce n'était pas mon monde. Même si je côtoyais des sorciers, que mes connaissances théoriques des créatures étaient assez bonnes et que j'avais appris deux ou trois sorts, je ne savais pas grand-chose au sujet des lois qui régissaient cet univers à part. J'étais donc allé voir Virginie, seule sorcière à ma connaissance possédant de la digitaline mais elle ne s'était pas montrée très bavarde. D'après elle, un nécromancien devait se trouver sur la tombe du mort qu'il réveillait et laissait derrière lui une odeur noire reconnaissable.

Un mort. Ici, il y avait une dizaine de trous mais aucune odeur suspecte. Et si un nécromancien s'était trouvé là, Donna n'aurait pas oublié de le mentionner vu la précision chirurgicale de son message.

Je souris au souvenir de la voix de mon amie. L'entendre à nouveau m'avait fait du bien, puis je m'étais souvenu qu'elle me manquait alors la sensation joyeuse était désagréable depuis. Surtout que penser à Donna me faisait aussi penser à Michaël, au mal que je lui avais fait et à mes sentiments encore vivaces. Malgré sept mois sans le voir, je ne l'avais pas oublié.

— Qu'est-ce qu'on fait, Nathan ? demanda soudain Aprilia.

Son intervention me sortit de mes pensées pour me ramener à la réalité.

— On passe forcément à côté de quelque chose. Un détail qui n'aura pas semblé important à Donna parce qu'elle ne l'aura pas relié à l'attaque.

— On devrait aller la voir, alors.

— J'aimerais éviter tant que l'Ordre surveille mes moindres faits et gestes.

Depuis que j'avais renvoyé Cerbère en Enfer et que j'avais pratiquement coupé les ponts avec Père Luc, mes confrères se relayaient pour essayer de me surveiller à mon insu, ce qui était un échec cuisant. Jusqu'à présent ça ne me dérangeait pas plus que cela puisque je parvenais à les semer facilement quand j'en avais besoin, comme ce soir. Chose qui les avait agacés au point de les pousser à envoyer Yannick, l'un des chevaliers de l'Ordre, à venir me rendre visite régulièrement. En plus d'être de mon âge, mon confrère était celui des exorcistes qui me détestait le moins. Nos supérieurs avaient dû penser que cela suffirait pour que j'accepte sa présence sans trop broncher, ce qui était loin d'être le cas. Même si je n'avais aucun grief personnel contre lui, il restait un chien aveugle fidèle à l'Ordre.

Je me redressai tout en examinant les environs. Après une courte hésitation, je repris mon inspection de cette section du cimetière où Aprilia et moi ne trouvâmes ni odeur ni empreintes. Il n'y avait pas la moindre trace du passage d'un nécromancien. S'il n'y avait rien ici, il me faudrait patienter jusqu'à la prochaine action du sorcier. En attendant, je devais en apprendre plus sur la magie noire et j'avais une petite idée de l'endroit où me renseigner.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? questionna Aprilia.

— On rentre, répondis-je en m'allumant une cigarette. On reprendra les recherches demain.

Le molossoïde acquiesça avant de faire demi-tour. Je lui emboîtai le pas jusqu'à l'extérieur du cimetière où j'enfourchai ma moto après avoir jeté mon mégot. Sans m'attendre, Aprilia partit devant. Sa condition surnaturelle lui permettait de courir plusieurs dizaines de minutes à une vitesse de quarante kilomètres heures. Elle serait à l'appart' avant moi.


Je me garai moins de dix minutes plus tard sur un petit parking rue de la Boule, venelle pittoresque que je suivis ensuite pour rejoindre le quai Saint-Pierre et l'immeuble de deux étages où j'avais emménagé sept mois auparavant. Mon nouveau chez moi donnait sur la Garonne et je pouvais voir, de l'autre côté du fleuve, le dôme de l'hôpital de la Grave. L'Ordre ne m'avait pas laissé le choix quant au lieu de mon nouvel appartement mais au moins y avait-il une belle vue. Ce qui me dérangeait le plus était qu'il se situait à seulement un kilomètre de la basilique Saint-Sernin. Pas assez loin à mon goût.

Contrairement à mon ancien immeuble désert, ici, tous les appartements du premier étage étaient loués tandis qu'au second, j'étais seul malgré la présence de trois autres logements. Du moins étais-je seul lorsque j'étais parti ce matin mais à en juger par la porte ouverte de l'appart' faisant face au mien, ce détail venait de changer. Lorsque j'atteignis l'entrée de chez moi, mon nouveau voisin apparut sur son seuil.

— L'Ordre ne doit pas beaucoup t'apprécier non plus pour t'affecter à ma garde permanente, Yannick, lâchai-je sur un ton blasé.

Le jeune homme aux cheveux châtains coupés courts et au visage triangulaire était joli garçon quand il n'était pas anxieux d'être en ma présence. Il avait conscience des risques qu'il courait en gravitant près de moi.

— Vous ne semblez pas surpris, remarqua mon vis-à-vis.

— Je ne le suis pas. C'est l'évolution logique de la surveillance pathétique que l'Ordre a mis en place depuis plusieurs mois.

— Vous avez remarqué...

— Difficile de faire autrement, répliquai-je en ouvrant ma porte. Je te préviens gentiment : ne te mêle pas de mes affaires parce que me voir en colère est la dernière chose que tu veux.

La lumière du couloir se refléta un bref instant sur la chevalière de Yannick lorsqu'il croisa les bras sur son torse tout en baissant la tête. Sans lui porter plus d'intérêt, je m'enfermai chez moi.

— Qui est-ce ? me demanda Aprilia lorsque j'allumai les lumières.

— Yannick, un membre de l'Ordre envoyé pour me surveiller. Il ne t'a pas vue ?

— Non. Sa porte n'était pas ouverte quand je suis arrivée.

— Très bien. Essaye de ne pas te faire voir. Et si jamais tu ne peux pas, ne parle surtout pas en sa présence, d'accord ?

— J'ai compris.

— Il ne doit savoir ni pour toi, ni pour l'évolution de mes pouvoirs, ni pour Tit.

— Très bien.

— Nathanoï ! Miam miam ?

Tiens, quand on parlait du domovoï !

CDSE 3 - Le Repos des MortsWhere stories live. Discover now