XXVI - Un Enfant Perdu

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Il pleuvait sur Silberleut, depuis des heures à présent.

Blottie au creux de la taverne de fortune, Framke s'était réfugiée dans une solitude bienvenue, dès que l'alerte avait été déclarée terminée et que chacun avait été renvoyé à ses occupations habituelles. La proximité du danger avait laissé comme une chape pesante sur la communauté cachée des inventiers, même si meister Zweig avait tenu un bref discours pour expliquer que la situation demeurait sous contrôle et qu'ils auraient tous les détails dès que possible.

Tout le monde craignait plus ou moins l'irascible recteur ; l'assemblée s'était rapidement dissipée aux quatre coins du réseau que constituaient l'église et les maisons aménagées des alentours.

Sauf Juvénal.

Le jeune Calicien semblait hors de lui ; alors même que les membres de la Guilde s'éloignaient par petits groupes, il s'était avancé et avait confronté violemment meister Zweig :

« Sous contrôle ? Comment pouvez-vous tenir sous contrôle quelque chose que vous ne pouvez même pas expliquer ? Si vous savez pourquoi une colonne de Nebel s'est élevée en plein cœur de la ville, vous devez nous le dire ! »

Le recteur avait croisé les bras, durci son expression et déclaré de son ton le plus autoritaire :

« Les explications viendront en temps voulu, Juvénal. En attendant, tu vas immédiatement retourner effectuer les tâches qu'on t'a confiées, et dans le calme. »

L'appartenance à la communauté des inventiers, surtout pour quelqu'un qui ne possédait pas le don d'ingénier comme Juvénal, résidait dans le respect de certaines règles et le jeune homme le savait. Framke s'était demandé ce qui arrivait à ceux qui les violaient : la guilde officieuse pouvait-elle se permettre de les chasser, alors qu'ils connaissaient son existence ?

Mais Juvénal n'avait rien fait de mal et ses revendications semblaient justifiées. Les repousser ne ferait que créer une faille dans l'autorité des trois dirigeants. Combien de temps les recteurs pourraient-ils écarter ses requêtes ?

Elle appréciait Juvénal : le jeune homme était agréable et soucieux des autres et, sous cette obsession, elle devinait une ancienne douleur qui le rongeait à chaque instant. Mais il se déroulait quelque chose de très important, qui les dépassait tous et qui, elle le sentait confusément, devait être lié au passé d'exploreur de meister Reiner. Elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver à l'égard du vieux compagnon de Fridrik une profonde loyauté que même sa sympathie pour Juvénal et la justesse de ses objections ne pouvaient ébranler.

« Hey ! »

Elle se tourna légèrement vers l'origine de l'interpellation : elle leva les yeux au ciel en reconnaissant celui qui méritait probablement le qualificatif d'individu le plus pénible de tout Handesel :

« Qu'est-ce qu'il y a, encore ? » grommela-t-elle.

Heinz esquissa un sourire ironique :

« T'as beau essayer de te cacher, ça marche pas ! Ma mère veut que tu viennes aider les nouveaux à s'installer. »

Elle fronça les sourcils en fixant le garçon d'un regard confus :

« Les nouveaux ?

— Oui, un garçon et une fille que meister Krauz a ramenés avec lui. »

Il pouffa de rire :

« Le garçon, ça va, même s'il a pas l'air très éveillé... mais la fille, c'est toute une histoire. C'est une frolen de la haute, coiffée comme une poupée. Elle regarde autour d'elle comme si on l'avait enfermée dans une cage avec des ratsen. Il paraît qu'ils ont des dons, mais ils sont pas si terribles à regarder. »

Les Trois Empires - I - L'Héritage de l'Exploreur [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant