XXVII - Captif

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La pluie tambourinait sur le toit de la mansarde, accompagnant le chant nasillard qui s'échappait du phonographe.

Koenig releva sa plume du rapport en cours d'écriture, écoutant les mots qu'égrenait la mélodie aigrelette ; il devait se concentrer pour discerner la pureté de la musique à travers les grésillements qui le parasitaient. Cet enregistrement avait été réalisé des siècles plus tôt, quand les habitants de Handesel se plaisaient encore à inventer et expérimenter... avant la chape tyrannique des pilotiers et du bureau des Affaires tripartites sur le monde.

Il saisissait vaguement le sens des paroles en langue ancienne : il y était question d'une lumière qui brillait à travers la brume et de chagrin oublié... Il esquissa un léger sourire, qui s'effaça vite quand ses soucis actuels lui revinrent en mémoire. Il se tourna vers la porte entrouverte sur la seconde pièce de la mansarde, où une couche bien plus confortable que son lit-malle avait été installée pour leur invité.

« Gerte ? »

Le visage rude et fatigué de la femme apparut dans l'encoignure, un pli soucieux en travers du front.

« Comment va-t-il ? »

Elle se glissa dans pièce principale, les deux mains posées sur son tablier comme si elle ne savait pas quoi en faire.

« Je ne saurais pas dire, manher Koenig, répondit-elle d'une voix hésitante. Il ne s'est toujours pas réveillé. »

Le geomestre passa une main dans ses cheveux longs, posa sa plume et se leva avec lassitude. Il se sentait épuisé par les événements de la journée et l'inquiétude faisait palpiter son malaise jusque dans ses os. D'un pas traînant, il se dirigea de la porte et se pencha pour observer l'occupant de la chambre de fortune. Il esquissa une petite grimace d'amertume en songeant à l'ironie de la destinée, qui le conduisait à sauver quelqu'un dont il avait bien failli causer la mort si peu de temps auparavant.

Koenig franchit le seuil et s'approcha du lit, détaillant les traits avenants de leur hôte. Même si la respiration régulière qu'il entendait le rassurait, son inconscience prolongée demeurait problématique. Gerte l'avait soigné aussi bien qu'elle le pouvait ; elle avait nettoyé la suie de son visage et de ses cheveux, mais il n'en paraissait que plus pâle. Pour l'instant, son état n'avait rien alarmant, mais il le deviendrait rapidement si ses blessures s'enflammaient et qu'une fièvre se déclarait. Le jeune homme avait été considérablement affaibli par la perte de sang et le déferlement titanesque de ses pouvoirs.

Le geomestre ne pouvait prendre le moindre risque : cet invocant qui avait montré, juste la veille, l'étendue de sa puissance, était bien trop précieux pour Handesel. Il fallait faire appel à un médicant, aussi vite que possible. Il posa brièvement la main sur les mèches blondes avant de se lever et de partir à la recherche de Gerte, qui était retournée dans les étages inférieurs pendant qu'il contemplait leur invité.

***

La jeune fille qui se présenta à la porte ne devait pas avoir plus de seize ans.

Encore une apprentie, mais étant donné les circonstances, Koenig ne pouvait se permettre de se montrer trop regardant : ses parents faisaient partie des fidèles de leur cause et ne pouvaient lui refuser leur concours. Il n'attendait pas d'elle l'impossible : juste traiter correctement des blessures apparemment sans gravité.

Le geomestre la détailla des pieds à la tête : mince, un peu dégingandée comme si elle avait grandi trop vite, un teint pâle qui s'accordait mal avec sa robe turquoise... Elle levait sur lui des yeux inquiets, entrelaçant nerveusement ses doigts. Koenig la salua courtoisement avant de la faire entrer dans le vestibule.

Les Trois Empires - I - L'Héritage de l'Exploreur [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant