Prologue

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Assis sur une chaise inconfortable dans une pièce qui sent le luxe, j'attends sagement. Mes pieds se balancent dans le vide, je suis encore trop petit pour qu'ils touchent le sol. Pourtant, j'ai beaucoup grandi ces derniers mois, maman n'a pas cessé de me le répéter. Je suis fier de grandir, car ça veut dire que je deviens un adulte. Je veux être aussi grand que papa. Aussi grand et aussi fort.

Je commence à chantonner une chanson qui vient de mon dessin animé préféré. Je ne me rappelle pas de toutes les paroles, alors je les invente. Je suis plutôt fier du résultat, même si ça ne rime pas tout le temps. Une fois ma chanson terminée, le silence retombe. D'ici, je peux entendre maman discuter avec le médecin, mais je ne peux rien comprendre car la porte est fermée.

Finalement, les deux adultes entrent dans la pièce, et je me redresse en souriant. Sourire qui s'efface bien vite quand je vois les yeux rougis de maman. Elle a pleuré. Je le sais car mes yeux sont pareils que les siens quand je pleure. Je me tourne vers le médecin, les joues gonflées d'indignation, prêt à le gronder. Papa dit qu'il ne faut pas faire pleurer les gens, car ça leur fait du mal, et faire du mal aux gens, ce n'est pas bien. Le docteur doit soigner les malades, il ne doit pas leur faire mal. Mais ce docteur-là, il a fait pleurer maman.

-Kelyan, tu te souviens de ce que je t'ai dit l'autre jour, après avoir fait ta piqûre ? demande le docteur.
-Que j'étais un garçon très courageux, je réponds aussitôt en gonflant dignement le torse. Et que je serai très fort plus tard.
-Exactement, confirme le médecin avec un sourire. Tu as une bonne mémoire.

Maman s'approche de moi et commence à me caresser doucement les cheveux. Ma bonne humeur s'envole, et mon cœur se met à battre plus fort. Je n'aime pas quand elle me touche gentiment les cheveux comme ça. C'est toujours ce qu'elle fait quand elle m'annonce une mauvaise nouvelle. Je lève la tête vers elle, les yeux grands ouverts.

-Maman... ?
-Tout va bien mon chéri, tout ira très bien, me dit-elle d'une voix douce, celle qu'elle utilise quand elle me lit une histoire le soir.

Le docteur commence à me parler, mais il utilise beaucoup de mots que je ne comprends pas. Je sais juste que je suis malade, car il donne à maman un papier blanc avec des choses écrites dessus. Je crois que ça s'appelle une ordonnance, et ça nous permet d'aller chercher des médicaments. Avant de partir, le docteur se baisse pour qu'on soit à la même hauteur.

-Souviens-toi, Kelyan, tu es un petit garçon courageux. Et plus tu vas grandir, plus tu vas devenir fort.
-Oui ! approuvé-je joyeusement. Et comme ça, je pourrais devenir policier pour protéger les gens !
-Garde ce joli rêve, sourit le docteur avant de se relever.

Dans la voiture, maman ne parle pas beaucoup. D'habitude, elle dit toujours quelque chose, ou alors elle chante très fort et très mal pour me faire rire. Là, elle garde les yeux fixés sur la route. Elle a les sourcils froncés et ça m'inquiète : maman n'a jamais les sourcils froncés, sauf quand elle est en colère ou contrariée.

Arrivés à la maison, j'enlève mon manteau et mes chaussures, puis les range comme papa me l'a appris. Maman ne parle toujours pas ; je me demande si j'ai fait quelque chose de mal. Je décide d'aller dans ma chambre pour y réfléchir : c'est toujours ce que papa me dit de faire quand je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas contents après moi. Et une fois que j'ai trouvé la raison, j'ai le droit de redescendre pour venir m'excuser.

Avant que je ne puisse aller dans ma chambre, maman me prend dans ses bras et me serre très fort contre elle. J'aime ses câlins, mais pas celui-là. C'est un câlin qui me fait mal.

-Maman ! protesté-je. Tu m'étouuuffes !

Elle me libère avec un petit rire et me caresse la joue avec son pouce. Ses yeux brillent beaucoup, comme si elle allait pleurer.

La pudeur des sentimentsWhere stories live. Discover now