La pudeur des sentiments

Chapitre 1 : Mauvaise Surprise

Plus tard, je serai l'Omega le plus fort du monde !

Je grogne lorsque cette simple phrase tirée de lointains souvenirs me réveille. Le soleil printanier illumine déjà pleinement ma chambre, et je peux entendre quelques oiseaux chanter malgré ma fenêtre fermée. A travers la vitre sans rideau, j'ai une belle vue sur le ciel dégagé. Je reste immobile dans mon lit, parmi les couvertures qui sont à moitié tombées du matelas. Mes draps sentent la sueur, et le vieux T-shirt blanc qui me sert de pyjama est humide de transpiration. Malgré toutes ces sensations désagréables et le besoin urgent de prendre une douche, je ne bouge pas. Mes muscles sont faibles, une migraine pointe sournoisement le bout de son nez ; il semblerait aussi que mon cerveau n'ait plus aucun contrôle sur mon corps. J'ai beau me répéter « lève-toi », je n'arrive pas à bouger.

Je lève une main moite vers mon visage et pousse un long soupir. Impossible de ne pas reconnaître ces symptômes ; ils reviennent toujours vicieusement une fois tous les trois mois depuis que j'ai douze ans et me rendent incapable de faire quoi que ce soit. C'est un peu comme une grippe. Une grippe que seule une certaine part de la population peut ressentir.

Je roule sur le côté et ouvre le tiroir de ma table de nuit. La plaquette de comprimés qui s'offre à moi paraît briller, comme un miracle. Je prends un cachet bleu, le laisse fondre sous ma langue et attends patiemment qu'il fasse effet. Quelques minutes plus tard, la lourdeur qui me cloue au lit s'allège, et le début de migraine s'estompe timidement. Soulagé, je me lève enfin et me dirige vers la douche, semant mes vêtements sales en chemin. Ma chambre ressemble à un véritable dépotoir. Il serait peut-être temps que je nettoie un peu et que je songe à faire une machine. Mais aller au lavomatique aujourd'hui est une option que je dois rayer : dans mon état, ce serait ouvrir les bras aux problèmes.

Sous le jet d'eau chaude, je me dis qu'il faudrait tout de même que je lave quelques boxers à la main ; je commence à manquer cruellement de sous-vêtements, et vu la période dans laquelle je me trouve, quelques changes ne seront pas de trop. Je laisse l'eau chaude glisser sur ma peau, puis me savonne pour me laver correctement de toutes les pellicules de sueur. Enfin, je laisse l'eau me rincer, mes cheveux bruns collés sur mon visage.

Après avoir fouillé mon tas de linge sale à la recherche d'un T-shirt pas trop malodorant, je rassemble mes boxers et les mets à tremper dans le lavabo avec une bonne dose de lessive. L'odeur de muguet qui s'élève et m'emplit les narines me rappelle douloureusement celle de ma mère. Je n'aime pas l'odeur des fleurs ; bien au contraire, leur fragrance me donne mal à la tête. Toutefois, j'ai toujours associé le muguet à ma mère, et je n'ai jamais pu me résoudre à prendre une lessive avec un autre parfum.

Derrière moi, quelque chose se met à vibrer. Je m'essuie les mains avant de prendre mon portable. Numéro inconnu. Je grommelle et jette l'appareil sur mon lit, décidé à l'ignorer. Je déteste les numéros privés : à tous les coups ce sont des démarcheurs téléphoniques qui essaieront de me vendre une assurance pourrie et inutile.

Pourtant, je me surprends à récupérer mon téléphone et à prendre l'appel.

-Bonjour, Monsieur Basquiet ?

Cette voix de femme et son ton très professionnel m'indiquent que j'ai bien fait de décrocher.

-Lui-même, je réponds.
-Je vous appelle suite au CV que vous êtes venu déposer à notre agence quelques jours plus tôt. Un employeur serait intéressé par votre profil et aimerait vous rencontrer lors du déjeuner.
-Aujourd'hui ?
-Oui, Monsieur.

Je retiens un soupir contrarié. Faire part de mon agacement alors qu'on me propose un entretien serait très mal venu, d'autant plus que j'ai bien précisé que je prendrai n'importe quel travail, mais cette demande de dernière minute ne m'arrange pas le moins du monde.