Souvenirs humains et désespoir passé.

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La moite chaleur du soleil d'été auréolait le jardin d'un cocon étrangement rassurant. Il était seul, mais la clameur de la foule, les chants païens et les rires des citoyens lui parvenaient, étouffés mais présents, présence obscure qui soulignait sa solitude.

Que ressentait-il à l'instant ? La joie, l'appréhension, l'angoisse ? Il aurait été incapable de le dire. Son cœur tambourinait à une vitesse folle dans sa poitrine, il se perdait en lui-même comme en un labyrinthe. Dans une tentative vaine pour se remettre de ses émotions, il était sorti, et marchait maintenant seul, lui qui pourtant n'avait jamais le droit à la solitude, même lorsqu'il la demandait.

Le vent agitait les feuilles des arbres, qui semblaient bercer un être inconnu. Il regardait cette douce agitation, ce calme qui remuait, alors qu'en lui se battait l'angoisse – il craignait que quelque chose se passe mal – et l'envie – l'envie qu'enfin son supplice cesse et qu'il puisse la voir, ou plutôt les voir.

Les, car maintenant sa femme n'était plus seule, elle venait d'accoucher de leur enfant. Serait-ce une fille ou un garçon ? Il s'en moquait. Il l'aimait déjà, cet enfant que bientôt il pourrait prendre dans ses bras.

Cette attente, était-elle normale ? Personne n'était encore venu le voir, lui annoncer qu'il était père. Y avait-il eu un problème, craignait-on d'annoncer une terrible nouvelle au roi ?

Un bouffé d'angoisse monta en lui, aussi vive et rapide d'une vague qui se fracasse sur un rocher. Il se força malgré tout à se calmer. Bientôt, il rentrerait au palais avec la promesse de voir sa femme et son enfant.

Il entendit des bruits de pas, une course effrénée dans sa direction. Ca y était, il allait enfin savoir. Il se tourna vers le bruit, rassemblant ses forces pour attendre patiemment, pour ne pas submerger l'inconnu de questions pressantes et angoissées. Un domestique apparut, essoufflé, rouge. Ses yeux étaient animés par une lueur à laquelle le roi ne prêta aucune attention.

  - Seigneur ...

Il ne finit pas sa phrase. Son maître était déjà parti vers la direction de la chambre, suivit de près par le bruissement de sa toge. Il avait eu une illumination : Il était père. Il le savait, il le sentait au plus profond de lui. Sa femme venait de donner vie, il le présentait. Il ne réfléchit pas, et s'élança pour les retrouver.

A mesure qu'il s'enfonçait dans le bâtiment, les chants de fête des habitants s'estompèrent. Le silence, lugubre et de mauvais augure, les remplacèrent.

Il ralentit. Un prince venait de naître. N'y avait-il personne à l'intérieur pour fêter sa venue ? Les couloirs qu'il traversait devinrent plus sombres, recouverts du même voile qui était en train de recouvrir son cœur.

Il s'approchait inexorablement de la porte, tel Œdipe rejoignant Thèbes. Tous les mythes, toutes les croyances de son peuple remontèrent le flux de la pensée, et il songea aux dieux et aux funestes tours qu'ils jouaient parfois aux hommes, aux malédictions qu'aucun mortel ne pouvait contourner.

Ce jour de fête prenait une tournure bien sombre, celle de l'appréhension de la nouvelle, de la découverte. Mais ne s'inquiétait-il pas pour rien ? Et ce son, n'était-ce pas des pleurs ?

Il accéléra. Son propre palais ne le mènerait pas à l'erreur, ne le piégerait pas comme un vulgaire dédale de couloirs inconnus, il trouverait la chambre de sa femme. Et il pourrait alors chasser les ténèbres qui pénétraient son âme, porter son nouveau-né tandis que son coeur connaîtrait un renflement de soulagement.

Au détour d'un mur, un homme et deux femmes. Leurs mains couvertes de sang pouvaient aussi bien présager de la vie que de la mort. Et dans une main, un couteau. La terreur qui lui serrait le ventre revint de plus belle et, sans leur accorder un seul regard, il ouvrit la porte de la chambre.

A l'intérieur, l'obscurité avait presque entièrement prise possession des lieux, et seul un filet de lumière parvenait à franchir les rideaux fermés. Il ne voyait rien, pourtant, il n'était pas seul, et la douce mélodie qui parvenait à ses oreilles en était la preuve. Il s'avança, et laissa à ses yeux le temps de s'habituer.

  - Pasiphaé ?

Un doux cri perça le silence. Sa femme était là, proche de lui. Il s'approcha, encore aveugle.

  - Oh Minos, regarde ! C'est mon fils, regarde !

Son fils ? Le roi aussitôt se referma sur lui-même, avec le pressentiment que la détresse passée n'était pas qu'une superstition.

Comme si les dieux l'avaient voulu, il retrouva enfin la vue, vit la chambre et ses occupants. Sa femme était là, et leur chérubin ... Il eu un mouvement de recul.

Ils avaient donné naissance à un monstre, certes plus jeune et plus petit que ceux qui peuplaient les mythes, mais bien aussi abominable.

Son corps ressemblait à celui d'un enfant, du fils qu'aurait pu avoir Minos, mais sa tête ... C'était celle d'un animal, d'une bête. Le visage trônait fièrement sur le corps de cet enfant, sans crainte, comme si tout ceci était dans l'ordre des choses, mais c'était celui d'un taureau, d'une créature qui n'avait rien d'humain.

Le roi comprit pourquoi ses hommes avaient un couteau, et il songea que ceci pourrait être une solution à cela. Mais tuer ce montre en créerait un autre.

  - C'est mon fils, Minos !

Il se concentra sur cette femme. Elle portait ce bébé comme si c'était vraiment le sien, sans honte, sans gêne, même avec une certaine fierté dans son maintien. Il crut pourtant voir une lueur de folie dans son regard ; l'avait-il inventé ?

  - C'est un monstre. Il est à moitié animal. Ce n'est pas ton fils.

  - C'est mon enfant. Il est innocent. Toi, n'as-tu pas tué des inconnus pour agrandir ton royaume ? N'as-tu pas fait couler le sang, déclenché des guerres ?

Il resta muet. Elle avait probablement raison. Mais cette chose ... Elle allait entacher son image, l'image d'un roi tout-puissant. Il ne pouvait la garder.

Néanmoins ... Il ne pouvait se résoudre à la tuer. Cela ferait autant de mal à sa femme qu'à lui-même, bien qu'il sache désormais que cette créature n'était pas son fils.

Que faire alors ? Il ne pouvait laisser cette chose vivre, il ne pouvait la tuer. La solution lui sembla d'un coup évidemment : Il devait cacher l'ignominie, l'enfermer quelque part où on ne pourrait jamais la trouver, un lieu où plus jamais cette chose ne pourrait souiller son image. En attendant, le prince était mort. Jamais ce monstre ne pourrait être son enfant.

Minos et ses amoursWhere stories live. Discover now