Alexandre

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- Pourquoi le ciel, pourquoi la vie, pourquoi moi ? Pourquoi pourquoi ?!

Le bébé a grandi et Alexandre ouvre à présent des yeux émerveillés et curieux sur le monde qui l'entoure. L'enfant a oublié ce qu'il était mais le geste inachevé de l'ange l'a empli d'un vide qu'il ressent et peine à comprendre.

Il lui manque quelque chose, il en a conscience, mais ne parvient pas à en dessiner les contours et, comme pour compenser l'absence de réponse à cette question en lui, Alexandre s'interroge sur tout.

- Et dis aussi Papa... Pourquoi Maman pleure ?

Étranges questions de la part d'un enfant... Mais Alexandre est différent : il voit.

Il voit sans doute trop de chose pour son âge et en ressent l'impact d'autant plus violement.

Voilà pourquoi Alexandre est un être difficile à cerner du haut de ses quatre ans. Voilà pourquoi il comprend plus qu'on ne voudrait bien l'admettre les grands drames et les petits bonheurs. Voilà pourquoi aucune larme n'a perlé à ses yeux lorsque celle qu'il appelait Maman s'est enfuie loin de celui qu'il appelait Papa.

Ce que tous ignoraient, c'est qu'au fond de son cœur il mourrait dans un sanglot déchirant.

Des personnes en robes et costumes ont décidé pour lui qu'il devait aussi partir et il est resté silencieux : les morts ne parlent pas, ou très peu.

Durant des années il s'est tu, marionnette humaine ballottée dans les courants de la vie et qui refuse de s'éveiller pour vivre la sienne.

- Parlez-moi !

Alexandre reste muet au monde qui l'a si douloureusement meurtris.

- Dites quelque chose, n'importe quoi je m'en fou mais parlez non d'un chien !

Le psychologue perd patience et hausse le ton.

- Pourquoi ne parlez-vous pas ? Pourquoi !?

Pourquoi...

La question fait écho.

Alors doucement, Alexandre relève les yeux vers l'homme en face de lui qui déjà s'agite et continue ses cris. Cet inconnu qui se targue de le connaitre, de le comprendre. Qui pense pouvoir l'aider, lui.

Pour la première fois, il le fixe et soutient son regard toujours sans un mot. Puis il prend une inspiration. Le bord de ses lèvres frémis légèrement, de manière presque imperceptible, si bien que l'homme ne le remarque pas.

- Parce que je n'ai pas envie de vous parler.

Le silence retombe sur le psychologue stupéfait. Et le miracle se reproduit.

- Les mots sont trop précieux pour les gaspiller en paroles inutiles pour des personnes qui n'y sont pas sensibles.

Et l'ange appuie son doigtWhere stories live. Discover now