Le sang, le spectacle et la fougue !

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Chian et moi avons longtemps bataillé, avancé argument sur argument, tenté de négocier. Nous avons insisté, nous avons pleuré, nous avons supplié, mais le Romain est resté impassible, impossible à émouvoir. Immobile sur son siège Publius a répété :

- Vous combattrez tous les deux au cours de l'épreuve de la bataille, tous les deux, pas de passe-droit, un gladiateur qui ne combat pas, n'a sa place que sous le sable. Vous combattrez tous les deux, Chian pour les Gaulois et Nephtys pour les Romains. Aucun changement d'équipes n'aura lieu.

J'ai hurlé, j'ai tenté de me jeter sur lui, j'ai voulu lui arracher ses yeux de serpent, mais Chian m'a retenu. Publius a ajouté :

- Une dernière chose, si l'un ou l'autre vous mettez trop peu d'ardeur au combat, je vous ferez écarteler.

Puis Publius nous a renvoyé dans notre chambre-cellule, où nous vivons depuis l'épreuve des gladiateurs. Nous n'avons eu qu'un jour de repos. Un jour seulement. Et on nous y renvoie. Et cette fois-ci nous n'en ressortirons pas ensemble. Deux équipes différentes, Publius a condamné notre binôme, et il le sait. J'ignore pourquoi il fait ça, le public adore nous voir combattre ensemble. Nous avons quitté la pièce en silence, nous avons mangé en silence et nous nous sommes couchés. J'ai dormi d'un sommeil sans rêve, il y a longtemps que je ne rêve plus de rien, depuis l'Egypte mes nuits sont vides.

Chian est allongé sur sa paillasse de l'autre côté de la pièce, il ne bouge pas mais je sais qu'il est réveillé, il a rêvé de son frère cette nuit, il a hurlé son nom et a fini par se cogner contre le mur à force de s'agiter, suite à cela il n'a pas réussi à se rendormir, moi non plus... Nous nous levons dans le même silence morbide dans lequel nous avons quitté les appartements de Publius la veille. La journée défile jusqu'au moment de la préparation précédent l'entrée dans l'arène et nous n'avons toujours pas échangé un seul mot.

Etant de nouveau la seule femme je suis autorisée à me  changer dans notre chambre-cellule, en descendant dans la cour, je vois les membres de mon équipe, reconnaissables à la crète rouge de leur casque, et Chian avec les membres de son équipe portant une crète bleue. L'éternel regard triste de Chian se pose sur moi, nous nous rangeons en colonnes puis nous dirigeons vers le Colisée. Nous nous tenons dans l'obscurité,  à peine à un mètre d'écart avec l'autre équipe. Je jette un coup d'œil à Chian, je ne peux pas le quitter comme j'ai quitté Ahmôse, sur un silence. Nous échangeons un regard et quittons nos files respectives. Chian me prends dans ses bras, dans un bruit d'armures et de boucliers qui s'entrechoquent. Il m'embrasse sur le front, je dépose un baiser sur la main qu'il a posé sur ma joue. Seul l'un d'entre nous ressortira du Colisée cette fois-ci. Seul l'un d'entre nous pourra retourner en Egypte.

Nous regagnons nos rangs sous les regards désapprobateurs de nos coéquipiers. Les grilles s'ouvrent, la lumière du soleil m'aveugle quand nous pénétrons dans le Colisée. Je plisse les yeux, quand je les rouvre c'est sous un déluge de plumes, toujours ces mêmes colombes qui s'envolent. Nous avançons, faisons face à la tribune impériale et chaque équipe gagne son carré de terre. L'épreuve est simple, chaque équipe doit défendre son drapeau, ledit drapeau se trouvant au cœur de son camps. La bataille s'arrête une fois qu'un des drapeaux est pris. Chaque camps est délimité par d'énormes blocs de pierres empilées. Chaque équipe possède 5 archers et 6 fantassins qu'elle est libre de disposer à sa guise sur le terrain. Le but est de prendre le drapeau adverse. Les équipes s'entrainent des semaines et des semaines pour cette épreuve qui demande stratégie et coordination mais Chian et moi avons été rajouté à la dernière minute sur un caprice de Publius. Chaque équipe compte donc aujourd'hui 7 fantassins et ni les 22 autres hommes, ni Chian, ni moi n'en sommes ravis.

Le combat commence.

- Fantassins en formation tortue ! hurle notre chef d'équipe alors que nous venons d'enjamber la rangée de pierres délimitant notre camps et que les archers adverses bandent leurs arcs. J'ai tout juste le temps de soulever mon lourd bouclier au-dessus de ma tête qu'une pluie de flèches s'abat sur nous. Nous nous regroupons et avançons en formation tortue. Les battements de mon cœur s'accélèrent, nous marchons, collés les uns aux autres, je me sens enfermée, j'ai comme l'impression que mon air se raréfie, je trébuche une tape sur l'arrière de ma tête me force à maintenir mon bouclier en équilibre au-dessus de nous. Une voix menaçante sur ma gauche me siffle que si je trébuche encore une fois il arrachera mon cœur avec ses dents. Je tremble,  j'ai froid, l'enfermement, tous ces corps autour de moi, l'obscurité sous les boucliers, le piétinement des pieds, je n'arrive plus à respirer. Je me traine, on me pousse, qu'est-ce qui m'arrive ? 

Nephtys et Commode : Entre Memphis et RomeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora