Le cadeau

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"Le boiteux ! L'Egyptienne !" Ces mots ont résonné si longtemps dans le Colisée que je les entends encore dans ma tête. La foule en liesse a longtemps hurlé nos surnoms, longtemps après que Caius ait rendu la vie, longtemps après que nous ayons quitté l'arène.

Parmi la foule j'ai cru apercevoir des familles, curieuse distraction pour des enfants que d'assister à un combat à mort, que de venir voir gicler le sang, que de venir voir des têtes voler. A nos pieds des corps mutilés, des cadavres défigurés, des membres tranchés, et autour de nous, une foule en liesse applaudissant nos crimes et sifflant nos meurtres, une foule en liesse trop heureuse de pouvoir de nouveau assister au spectacle de notre cruauté.

Quel curieux pacte j'ai passé... Tout faire pour me faire aimer d'un peuple qui ne m'acclame que si je gagne. Hurleront-ils mon nom si c'est ma tête qui tombe la prochaine fois dans l'arène ? J'en doute.

Tous ces meurtres pour un peuple dont le cœur est plus changeant que les sentiments d'Ahmôse, pour un prince dont la grâce ne m'est même pas assurée. Gagner la faveur du public, gagner la faveur de l'empereur, être libérée et rentrer en Egypte, c'est mon plan, mais rien ne me garantit que l'empereur souhaitera me libérer, rien ne me garantit que Publius ne m'ait pas menti pour me pousser de nouveau dans l'arène.

- Aie ! m'exclamé-je surprise.

- Excuse-moi, réponds Chian en continuant de nettoyer mes plaies. Tu sembles ailleurs.

- Je repensais à la grâce de l'empereur, combien de temps penses-tu que les Jeux dureront encore ?

- Je l'ignore Nephtys, ce sont mes premiers Jeux Romains, tout comme toi. Tu t'es bien entaillée, je pensais t'avoir appris qu'une épée ça se tient par la garde pas par la lame, me taquine t-il.

- Dans le feu de l'action ça a du m'échapper...

Je suis bien amochée, j'ai pu le constater en apercevant mon reflet, un nombre incalculable de marques parsèment ma peau ébène, mon visage et mon corps n'ont jamais été aussi douloureux, quant à mes mains elles sont dans un état déplorable. Chian ne s'en sort pas beaucoup mieux, lui aussi a le visage tuméfié et des blessures légères sur les bras. Je me rappelle notre sortie de l'arène, peu glorieuse. Moi, étendue sur le sable près du corps de Caius et Chian, assis, les bras ballants au milieu des cadavres, nous faisions tous deux de piètres vainqueurs. Les soldats nous ont mis en joue, contraints à nous relever et à lever nos épées vers la foule en signe de victoire. Puis nous nous sommes trainés en nous appuyant l'un sur l'autre vers la grille la plus proche. Et maintenant que je nous regarde, assis dans une salle de la prison qui nous sert de demeure, je maintiens que nous faisons un bien pathétique duo de gagnants. Pendant que je me fais ces réflexions Publius entre brusquement dans la pièce.

- Les vainqueurs de l'épreuve des gladiateurs ! Vous nous avez livré un beau spectacle aujourd'hui ! Une sortie assez pitoyable mais un beau spectacle !

- Une sortie pitoyable ? Ce n'est pas un jeu pour tout le monde.

- Ah oui ? Suivez-moi.

Je regarde Chian, il semble tout aussi épuisé mais il se redresse. Nous suivons difficilement Publius à travers les couloirs du bâtiment, je n'avais jamais dépassé l'étage des cellules. Nous arrivons dans une pièce où s'entassent paniers de fruits, amphores et étoffes en tout genre.

- C'est à vous, vos admirateurs...

J'ouvre des yeux ronds et Chian se tourne vers Publius, méfiant :

- Ne touche à rien Nephtys ! me défend il me voyant m'approcher d'une corbeille de fruit. Quelle est la contrepartie ?

- Il n'y en a aucune.

Nephtys et Commode : Entre Memphis et RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant