Chapitre 1

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Le marché ouvert de la Cité des Brumes avait un air enchanteur. Sous le soleil timide et matinal, les rues pavées de la Haute-ville, quartier bourgeois, s'étaient parées des couleurs vives des étals des marchands. Les tissus rares et soyeux côtoyaient les animaux sauvages, exotiques et dangereux. Quelques artisans, plus sobres mais pas moins riches, vendaient des armes et des bijoux luxueux, attirant bon nombre de regards. Partout, les clients négociaient à grand renfort de moulinets de bras, de sourires et parfois de jurons.

Lyana se faufilait entre les passants à la manière d'un félin. À cette heure-ci, le marché ouvert ressemblait à une rivière humaine multicolore, une aubaine pour la voleuse. Armée de petits ciseaux argentés, qu'elle avait payés une fortune, elle raflait bourse sur bourse. Sa dextérité, polie par des années de pratique et par sa capacité surnaturelle à ressentir les émotions de chacun, lui permettait de faire des merveilles. Pas folle pour autant, elle ne dépouilla qu'une dizaine de badauds sur les milliers présents. Le vol était un commerce dangereux. Voler trop de personnes ferait fuir les clients du marché et, sur le long-terme, ce serait catastrophique autant pour elle que pour sa guilde.

La pêche avait été bonne ce jour-là. Excellente même. Lyana avait réussi à dérober quelques pièces d'or et un bon nombre de pièces d'argent. Le chef serait content et elle pourrait continuer à payer le maître forgeron de son frère. Plus qu'un an à tenir, et il aurait fini son apprentissage. Elle pourrait alors penser à elle, continuer dans le vol mais envisager une retraite assez rapide. Pourquoi ne pas s'acheter une petite ferme en dehors de la ville, avec quelques poules, des moutons et un potager qu'elle pourrait cultiver au gré de ses envies ? Une vie simple, loin de toute l'agitation de la ville. Paisible. Un rêve qu'elle espérait atteindre, un jour.

Pourtant, la voleuse était douée, très douée. Recrutée à neuf ans au sein de la Guilde des Ombres, la plus importante guilde de voleurs de la ville, elle avait dû faire face à de nombreuses difficultés. Au début, elle était allée de coups en désillusions, rapportant tout juste de quoi couvrir ses frais et nourrir son frère, alors habitant dans une ruine de maison des quartiers pauvres. Ses mains de petite fille n'étaient pas habituées à voler et, malgré sa capacité à sentir lorsque l'attention d'une personne était détournée ailleurs, elle était trop maladroite pour rafler des bourses. Elle se contentait souvent de se promener la nuit, dépouillant des hommes trop saouls pour l'attraper, malgré le danger qui guettait dans l'obscurité. Petit à petit, Lyana avait gagné en agilité, en discrétion et en vitesse, se fondant dans l'immensité de la ville. Personne ne faisait attention aux petites filles, ni même aux adolescentes. Il était bien connu que seuls les garçons volaient, les orphelines étant bien vite reléguées en prostituées. Lyana avait su tirer rapidement profit de cet avantage et avait très vite supplanté ses camarades. Ses compagnons d'infortune, qui n'avaient pas hésité à se moquer d'elle à ses premiers pas, avaient dû se rendre à l'évidence : elle était meilleure qu'eux.

Lyana traîna encore quelques instants dans la Haute-ville et ses jardins verdoyants. Ces endroits la faisaient rêver. Ils étaient si paisibles, si propres, si... Élégants. Malgré son nom, la Cité des Brumes, capitale du royaume, était souvent ensoleillée, donnant à ses parcs et ses places un aspect magique et féerique. La brume ne s'installait que lorsque la lune montrait le bout de son nez, montant des berges du lac avoisinant. Certains trouvaient que cela donnait une atmosphère morbide, lourde et dérangeante. Lyana, au contraire, appréciait se promener dans les rues à l'aspect fantomatique.

La jeune fille se décida à repartir vers les quartiers pauvres, abandonnant les larges rues dallées et les domaines riches pour se diriger vers d'étroites allées sombres. Malgré ses habits de marchande, elle faisait tache dans le paysage et les nobles, ainsi que leurs serviteurs, la regardaient d'un œil mauvais. Sur le chemin de retour, elle se cacha un instant dans une ruelle vide et plongée dans l'obscurité pour enlever son haut et ses bas colorés. Elle rangea précieusement ses vêtements dans un petit sac qu'elle portait et continua sa route, vêtue d'une cape brune qui la cachait parfaitement aux yeux de tous. La voleuse s'enfonça profondément dans les quartiers pauvres sans paraître dérangée par le danger qui se terrait à chaque coin de rue. Pourquoi le serait-elle ? Les rats se reconnaissaient entre eux. De plus, elle portait le signe distinctif de sa guilde cousu au niveau du cœur : un symbole représentant une vague déchirée par une dague. S'attaquer à elle signifiait s'attaquer à la Guilde des Ombres, et personne ne souhaitait avoir le Faucon comme ennemi.

La Guilde Des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant