Chapitre 1 : Le pêcher

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Dans le jardin de Kyoka trônait un magnifique pêcher. Il était présent quand elle et ses parents avaient emménagés dans la maison à ses onze ans, quittant leur campagne éloignée pour la ville plus grande, mais également plus étroite. Trouver une maison en métropole avec un jardin relevait du miracle, aussi, quand ils virent qu'une habitation située aux rebords de la ville possédait un petit bout de pelouse à l'arrière, ils ne réfléchirent pas à deux fois avant de l'acheter.

Cet arbre était incroyablement grand, pour son type. Les pêchers n'excédaient jamais les sept mètres de haut, mais celui-là mesurait pourtant une bonne dizaine, à vue de nez. Quand le soleil était à son zénith, son ombre couvrait une bonne partie du petit jardin, et il était plaisant de s'allonger sous ses feuilles pour en profiter. Kyoka le faisait toujours, d'ailleurs. Le mieux, c'est quand c'était l'été, et qu'après avoir ramassée ses pêches succulentes, elle se posait contre le tronc, une de ses récoltes à la main, et la dégustait en prenant tout son temps.

Elle avait aussi prit l'habitude, après avoir lu quelque part que la musique "apaisait" les plantes et favorisait leur développement, de jouer de petits airs de rock avec sa guitare. Enfin, elle le faisait jusqu'à ce qu'un de leurs voisins ne lui hurle d'arrêter sa "musique de sauvage". Voilà un autre inconvénient de la ville; la trop grande proximité des bâtiments résidentiels, surtout si l'endroit était calme comme ici, le moindre grattement de basse résonnait jusque dans la salle de bain du voisin. Kyoka avait rapidement fait avec, en pensant tout haut que si les autres ne voulaient pas entendre ses compositions, ils n'avaient qu'à se boucher les oreilles.

Elle avait toujours trouvé cet arbre assez... "étrange". Enfin, aussi étrange que le pouvait être un arbre. Rien que la première nuit, lorsqu'elle venait tout juste d'arriver dans cette nouvelle ville, et que sa chambre ne ressemblait pas à une chambre avec tous ces cartons empilés et pas encore ouverts, elle avait entendu un doux murmure, dans le jardin.

Quelqu'un chantait.

C'était une voix basse et féminine, grave et douce, enivrante et enchanteresse, qui flottait dans l'air comme un merveilleux morceau de basse.

Elle s'était précipité à sa fenêtre, qui donnait une vue d'ensemble sur le jardin, mais il n'y avait personne. Juste l'immense pêcher, qui sous les lumières nocturnes donnait naissance à une grande ombre s'étalant sur l'herbe et le mur, d'où s'échappaient de fines lignes obscures, la représentation plus sombres de ses branches.

Plus aucun bruit, la voix s'était tut.

Kyoka s'était recouchée, déconcertée et troublée. Elle était pourtant persuadé d'avoir entendu quelqu'un fredonner, elle n'inventait rien ! Peut-être que cette mystérieuse personne s'était enfuie sans faire de bruit ?

Cela restait étrange... pourquoi venir chanter dans son jardin ? Il y en avait d'autres, dans le coin, et le sien n'était ni le plus beau (malgré leur pécher) ni le plus grand. Pas de quoi inspirer une poétesse, donc.

Elle avait mit du temps à se rendormir, cette nuit-là, bercée par ses questions sans réponses. Qui pouvait bien être cette personne ?

Les jours, semaines, mois puis années s'étaient écoulés, et cet étrange petit manège avait continué chaque nuit, sans qu'elle n'arrive ne serait-ce qu'entrapercevoir celle qui chantonnait sur son petit bout de pelouse, et qui disparaissait dès qu'elle jettait un petit coup d'œil dehors. Cette voix était devenue sa berceuse, la réconfortant chaque soir où cela n'allait pas, où son ancienne maison, sa campagne et ses amis lui manquaient, l'apaisant dans le monde merveilleux de la musique et du chant. Qu'importe qui était la personne qui chantait, ses talents vocaux étaient indéniables, et la conduisait chaque soir vers de beaux rêves.

Pour rire, elle avait commencé à penser vers ses douze ans que c'était le pêcher qui chantait, vu que c'était bien la seule chose qu'elle voyait dans le jardin, les nuits où elle guettait la mystérieuse chanteuse derrière sa fenêtre. C'était certes idiot, mais si cet arbre réussissait l'exploit de mesurer plus que sa taille "maximale', pourquoi pas réussir celui de chanter ?

C'était aussi en partie pour ça qu'elle jouait de la basse près de l'arbre : peut-être qu'il se mettrait à chanter, si elle jouait juste à côté ?

Elle n'avait jamais parlé à ses parents de ces mystérieux airs, ni à n'importe qui d'autre, car Kyoka savait d'avance que personne ne la croirait. L'adolescente avait préférée se renseigner sur sa maison, pour vérifier qu'il n'y avait pas d'anciennes histoires de stalkeuse ou autre, et de la présence de ce pêcher géant dans le jardin, parce qu'elle le trouvait si intriguant, avec sa grande taille.

Heureusement, elle eut apprit par les voisins que les anciens propriétaires n'avaient été victimes d'aucune affaire sordide, et qu'ils avaient vendus la maison uniquement pour être plus proche du centre-ville. Quand à l'arbre, la seule information qu'elle avait réussit à avoir provenait d'un adolescent blond et un peu bête, fils d'un des voisins, qui lui affirmait que tout petit déjà, ce pêcher était planté sur ce bout de pelouse, et qu'il grandissait à une vitesse folle jour après jour.

Kyoka fut rassurée de savoir que son habitation n'était pas en proie à une dérangée qui chanterait sous sa fenêtre, mais en même temps surprise de voir que cet arbre était bel et bien étrange dès le départ.

Après cette rude journée où elle avait fait tout le tour de son quartier pour mener à bien son interrogatoire, elle s'était douchée et couchée sans demander son reste. Au moment où elle allait s'assoupir, elle entendit une nouvelle fois la voix, celle qui hantait ses nuits, fredonner une petite mélodie. Irritée et fatiguée, elle s'enroula dans sa couette, avant d'enfoncer sa tête sous un oreiller, dans l'objectif de moins l'entendre et d'être enfin tranquille.

La nuit passa difficilement pour elle, mais quand vint le matin, une drôle de surprise l'attendait, posée sur sa table de nuit.

Un petit panier d'oseille, remplie de pêches mûres. Kyoka en goûta une, curieuse, et elle ne regretta pas : elle était douce et sucrée, bien ferme comme il le fallait.

Le problème ?

On était au mois de janvier.

La Princesse des PêchesWhere stories live. Discover now