Chapitre I - Le joint

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Aaron somnolait doucement assis sur une chaise sur la terrasse face au jardin. Une respiration lente cadençait le mouvement régulier de sa large poitrine. Sa chemise trempée de sueur remontait à chaque inspiration mettant à nu un ventre proéminent.

Armand avait une forte envie de rire. Aaron ne résistait jamais à la sieste. La tête inclinée sur le côté, il bavait rêveusement sous la chaleur rêche des après-midi californiens. C'était un grand gaillard, une grosse brute, un dogue voué corps et âme à la République des Aigles, cette horreur qui s'était immiscée dans la vie de millions d'américains il y avait plus de trente ans. La dictature des Aigles Charognards comme l'avait nommée Armand dans un de ses écrits interdits.

Il se leva. Il avait besoin d'exercice. L'écriture le mettait au supplice. Le bureau des Arts et Compositions Littéraires exigeait de lui de longs textes à la gloire des nouveaux pères de la Nation. Armand se cambra légèrement les mains posées sur les reins. Il en avait assez. Il lui fallait un joint.

Il avait roulé le cannabis dans un petit sac en plastic qu'il avait enfoncé dans la terre d'un pot de géranium sur la terrasse. Il devait sortir en contournant Aaron dont les jambes s'étendaient longues et musclées devant la porte entr'ouverte. Armand se glissa lentement le long du mur prenant bien soin d'éviter les sandales éparpillées de son geôlier. Aaron avait laissé son téléphone portable et son canif trainer sur la table basse près de sa bouteille de bière. Il faisait de moins en moins attention. Il devait savoir. C'était donc vrai...

Un besoin de tuer submergea violemment Armand le prenant au dépourvu. C'était comme une envie de sexe, une pulsion brutale, intense qui exigeait l'assouvissement immédiat. Il tendit une main crispée vers le canif. Un coup dans les tripes suffirait. Un petit coup ciblé qui le débarrasserait une fois pour toute de cette ordure. Le cri éraillé d'un faucon le ramena à la réalité. Il se ressaisit, se redressa et respira profondément . Un rapace pour en sauver un autre pensa-t-il en souriant. Le dégout le submergea. Il lui fallait ce putain de joint.

Il glissa silencieusement sur le sol carrelé en prenant soin de ne pas perdre Aaron de vue. Il fallait atteindre le sac délicatement sans rien déplacer. Le Cannabis était une preuve de plus de sa défiance, un pied de nez de la Résistance, un nouvel échec et mat dont il gratifiait triomphalement ses tortionnaires. Aaron et les autres ne savaient toujours pas comment il s'y prenait.

Le pas souple, Armand se dirigea rapidement vers le pot et tira le bout d'une ficelle enterrée. Il ouvrit le sac tout doucement et prit une cigarette. L'envie de fumer était intolérable. Les escaliers étaient à sa gauche, le briquet quelque part, sous une des dernières marches. Il descendit les escaliers quatre à quatre. Le briquet n'avait pas bougé. Il se saisit de la boite métallique, l'enfouie dans la poche de son Jean et s'éloigna nonchalamment, en prenant son temps. Il ne fallait surtout pas éveiller les soupçons de Nancy dont il entendait la radio dans la cuisine.

Le dos tourné à la villa, les poings enfoncés dans les poches, il sentit le regard de Nancy. L'habitude des filatures orchestrées brutalement à son encontre pendant de longues années lui avait développé un sixième sens presque surnaturel. Il continua de marcher vers la haie au fond de la propriété sans se préoccuper d'elle.

Nancy cuisait de la viande. La garce le faisait exprès, par mépris absolu pour ses habitudes de végétarien. « Les vrais hommes mangent de la viande » lui avait elle dit avec dédain au tout début de son emprisonnement. « Les vrais hommes »... Il sourit. Pour Nancy la vérité d'un homme ne tenait qu'à peu de choses.

C'est ce qui l'avait attiré chez elle, ce côté primitif et une poitrine opulente qu'elle lui remuait sous le nez tous les matins en lui servant du café. Il l'avait baisé quasiment tout de suite dès les premiers mois de résidence surveillée. Il l'avait prise brutalement sur la table du petit déjeuner, un matin ou ils s'étaient retrouvés seuls tous les deux. Elle s'était laissé faire avec délice. Une pute de la République, plantée là pour ça, un soldat qui faisait du sexe son arme de guerre. Ce n'était pas la première espionne que les Aigles lui envoyaient sur un plateau d'argent. Il s'était fait avoir plus jeune puis s'y était fait. Il avait finit par apprécier ce service gratuit de la dictature. Il avait même envoyé des lettres de remerciement à la CIA pour services proprement rendus à la résistance.

Une mort annoncéeWhere stories live. Discover now