Chapitre 5: Demyan.

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Changement de personnage, premier chapitre avec Demyan :)

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— T'en penses quoi de ces gens ? me demanda Los, mon collègue. 

— Je sais pas, franchement je les trouvais louches au début, mais on a rien de concret sur eux. 

— Je suis certain qu'il y a un truc pas net. Les autres Sans-Pouvoir ne nous portent pas vraiment dans leur cœur, mais je n'en ai jamais vu nous regarder comme ça.

Je haussai les épaules sans lui répondre. Pour être honnête, je n'en avais pas grand-chose à faire. Cette fille avait beau nous détester, je trouvais qu'elle avait quelque chose de différent de toutes les personnes que j'avais pu rencontrer dans ma vie. Elle avait dans les yeux une détermination sans nom. Mais je ne pensais pas qu'elle soit Scintillante, sa famille était bien trop calme. Ou bien ils possédaient un sang froid exceptionnel. 

Nous prenions ensuite le dirigeable garé dans la plaine, un de ces grands ballons à la couleur de la terre fraîche, qui supportait une cabine en bois peu confortable. Le trajet me parut durer une éternité et je fus soulagé lorsque nous atteignîmes enfin le sol.

Arrivé à la caserne, je soufflai. Ce bâtiment si terne n'était pas mon chez-moi, je ne m'y sentais pas bien. J'aurais tant voulu rester au palais... Mais ce n'était pas comme si j'avais eu le choix. Je gravissais alors la dizaine de marches, pour me retrouver face à la porte blindée. Je passai ma carte contre la serrure puis entrai, Los sur mes talons. Je pris ensuite la direction de la salle des armes, traversant les sombres couloirs du bâtiment; j'avais l'obligation de la remettre chaque fois que nous rentions d'une patrouille.

Une fois dans ma chambre, je m'allongeai sur le lit et fermai les yeux. J'avais beau avoir la plus grande de toutes, je me sentais étouffer entre ces quatre murs. Elle était assez simple et ne me correspondait en rien. Les murs me faisaient sentir sous terre et le lit prenait presque toute la place. Une ambiance sombre planait, aucune fenêtre ne venait éclairer l'endroit. Et puis je ne possédais rien. Même mes vêtements étaient restés au château. Je portais chaque jour l'uniforme réglementaire des legios, qui consistait en une veste, un t-shirt basique, un jean et des chaussures fermées. Le tout de couleur noire. Père m'avait interdit d'emmener mes affaires, sans avoir plus d'explications. Je devais lui obéir, point. Cela avait toujours été ainsi.

Lorsque l'obscurité reprenait ses droits sur Ivraska, je me dirigeai vers le réfectoire. L'ambiance qui y régnait était la même que tous les jours, un joyeux remue-ménage refaisait entendre dès que l'on arrivait dans le couloir. Pourtant, je ne pouvais pas me résoudre à en faire partie. Etant un des deux chefs des legios, je mangeais un peu à l'écart. Sans vraiment savoir pourquoi, la plupart des miens me craignaient. Ma seconde, Pira, n'avait pas autant d'hostilité. Probablement car elle n'était pas la fille de Rioz. Probablement car elle s'autorisait à sourire. Tout le monde l'aimait, ce qui n'était pas vraiment mon cas. 

Après un regard pour Pira sur notre table, je pris mon plateau sur l'étagère qui m'était destinée, puis me dirigeais vers elle. Je m'assis ensuite avec un soupir, pensant aux repas que j'avais connu au palais. Le changement était radical. 

Tandis que je remuais ma fourchette dans la substance grisâtre immangeable, un homme demanda à me voir. Surpris, je me levai puis le suivis. Il devait avoir une cinquantaine d'années et avait une carrure bien plus imposante que la mienne. Je me sentais écrasé à côté de lui, la prestance que j'avais en temps normal avait disparu. Il m'emmena dans une petite pièce à part, où deux fauteuils en tissu bleu nous attendaient.

— C'est votre père qui m'envoie, il a une mission pour vous, déclara-t-il d'une voix gutturale. 

— Oui ?

— Comme tous les ans, un legio doit partir faire un rapport sur ce qui se passe sur Tawy. Le roi veut que ce soit vous cette année. Un dirigeable viendra vous chercher dans deux jours.

— Non, désolé. Vous direz à mon père que je n'accepte pas. 

— Ce n'est pas comme si vous aviez le choix, rétorqua-t-il.

Il me lança un sourire qui ressemblait plus à un rictus, je frissonnai alors en m'adossant contre le fauteuil. Je savais que j'allais une fois de plus écouter mon père. Malgré mes vingt et un ans, il exerçait toujours une pression palpable sur moi. Pourtant, je n'avais aucune envie de lui obéir. Même si comme la plupart des Sans-Pouvoir je détestais les Scintillants, voir ce qu'ils étaient devenus ne m'enchantait guère; car je connaissais toutes les souffrances vécues sur cette île. 

— Je parlerais à mon père demain, mais s'il m'y oblige je n'aurais effectivement pas le choix. En quoi ça consistera ?

— Faire un rapport sur ce qui s'y passe. Il faut surtout voir s'ils n'organisent pas quelque chose contre nous. Je ne vois pas comment ils pourraient faire ça, mais on ne sait jamais. Puis regarder leur réserve de nourriture, comment ils évoluent, et bien d'autres choses encore. Le roi exige cela chaque année, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Il vous donnera toutes les informations demain, il voudrait vous voir avant. 

Je hochai la tête, le regard dans le vide. Un entretien avec mon père ne m'enchantait guère, c'était le moins que l'on puisse dire. J'avais toujours eu des rapports compliqués avec lui et ce n'était pas près de changer. Il est vrai que nous n'avions jamais été proches, même durant l'enfance. Je restais plus proche des nourrices qui m'avaient élevé que de lui.

— Très bien, je verrais cela avec lui dans ce cas, lui dis-je pour mettre fin à la discussion, me levant afin de rejoindre le réfectoire. 

En y allant, je m'adossai finalement contre un mur revêtu de tissu usé et me laissai tomber au sol. La tête contre les genoux, je me demandais quel plan avait encore mis en place mon père pour me pourrir la vie. Lorsqu'il me dotait de "mission", c'était rarement une bonne nouvelle. 

Après avoir pris une grande inspiration pour faire disparaître le poids qui apparaissait dans ma poitrine, je repartis en tentant de ne plus penser à cela. J'arrivai alors à ma table et je dus avoir un visage particulier, car Pira me dévisagea. 

— Tu vas bien ? me demanda-t-elle en arquant un sourcil. 

J'acquiesçai sans lui répondre puis débarrassais mon assiette, ayant en tête plus qu'une seule idée: rejoindre ma chambre afin d'être enfin seul. Une fois là-bas, je m'allongeai sur le dos et observai les gravures de mon plafond. Elles ne représentaient rien en particulier, mais j'avais pris l'habitude de les suivre du regard lorsque j'étais stressé. Elles avaient sur moi un certain pouvoir apaisant.

Demain, je verrais mon père, et malgré moi je savais pertinemment que je ne pourrais pas lui tenir tête.

Diadème de cendresWhere stories live. Discover now