1. Le siège (version éditée)

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  Angleterre près de la frontière Wessex/Sussex, fin octobre 1066 

Depuis que son père lui avait confié la protection du domaine avant de partir rejoindre l'ost du roi, Alinor se dépensait sans compter. La jeune fille devait veiller à tout dans le fief, que cela relève de la gestion des terres ou de la garnison. Quand deux jours auparavant, l'approche des troupes normandes avait été signalée, elle avait commencé à préparer la forteresse pour pouvoir soutenir un siège, faisant rassembler le bétail et remplir les celliers. La veille, les paysans et villageois étaient venus se mettre à l'abri derrière les palissades de bois et les murs de pierres, puis l'attente avait débuté, chacun espérant que le duc de Normandie passerait plus loin. 

Malheureusement, les prières d'Alinor n'avaient pas été exaucées. Depuis la fin de matinée, les Normands étaient au pied des remparts et essayaient de pénétrer l'enceinte de la place forte. 

Alinor parcourait le chemin de ronde d'un pas énergique, distribuant des encouragements ici et là. Elle exhortait ses gens à se battre avec vaillance. Les soldats l'admiraient tant pour sa beauté que pour sa bravoure et son adresse au combat. Elle avait appris à manier les armes dès son enfance en même temps qu'Edwin, son frère aîné. Tous les habitants du fief étaient très attachés à la famille du thane de Thurston et ils adoraient plus particulièrement Alinor. Il n'y avait pas un seul homme sur ces terres qui n'eût donné sa vie pour elle. 

Andrew, le vieux chevalier qui commandait la garnison,regardait avec tendresse la jeune fille venir vers lui. Belle, Alinor l'était assurément. Mais quand elle était revêtue de son accoutrement guerrier, sa beauté n'était pas flagrante.Les attributs de sa féminité n'étaient pas mis en valeur, bien au contraire. Ses vêtements de soldat masquaient ses formes féminines. Elle avait bandé sa poitrine pour éviter que la rondeur de ses seins ne trahisse son sexe. Sa longue chevelure était enroulée sur sa tête et cachée sous un turban azur.Ses mains fines étaient dissimulées sous des gants de cuir.Ainsi habillée avec son haubert et sa tunique de chevalier,elle ressemblait à un jeune écuyer. 

Alinor se plaça aux côtés d'Andrew pour observer les ennemis qui encerclaient la forteresse. Celui-ci lui mit une main sur l'épaule, puis de l'autre, il lui montra un guerrier monté sur un grand étalon noir qui piaffait à l'extérieur des remparts. 

— C'est lui qui dirige les Normands. Guillaume le bâtard nous a envoyé un de ses meilleurs barons. Ce chevalier de Fougères est féroce avec ses adversaires et il a une réputation de combattant invincible. 

— Il l'est peut-être en Normandie, mais ici ce ne sera pas la même chose.

  — Damoiselle Alinor, il faut être lucide et se préparer au pire. 

— Je sais bien que nos perspectives de victoire sont minces, car ces satanés Normands sont plus nombreux que nous. D'autant plus que père et Edwin sont partis guerroyer aux côtés d'Harold en emmenant la plupart de nos housecarls.Et comme si notre infériorité numérique ne suffisait pas, les hommes qui nous restent sont moins aguerris que nos ennemis. Si nous voulons avoir une chance, il va falloir ruser. 

— Quelle stratégie allons-nous employer ? demanda Andrew. 

— Il faut les obliger à nous assiéger. Ensuite nous résisterons le temps qu'il faudra jusqu'à ce que les renforts arrivent. Nous devons gagner du temps. Hastings n'est pas si loin, père et Edwin ne tarderont plus. Je ne laisserai pas ce baron normand s'emparer de Thurston! 

— Alinor, votre courage et votre volonté forcent l'admiration.Notre thane sera très fier de vous.Andrew s'inclina, une main sur la poitrine, devant la jeune fille et continua : 

— Ordonnez et nous exécuterons. Vous savez bien que les hommes vous suivraient n'importe où, même en enfer. Ils ont confiance en vous, ma petite. 

Songeuse, la Saxonne observa les troupes ennemies un long moment avant de faire remarquer à mi-voix : 

— Les Normands semblent sûrs d'eux, il faudrait les déstabiliser. 

— Oui, mais comment ? 

Tandis qu'Alinor et Andrew cherchaient un moyen d'affaiblir leurs adversaires, Gautier de Fougères rassemblait ses meilleurs chevaliers pour leur donner ses instructions.Voyant cela, un plan germa dans l'esprit d'Alinor. 

— En éliminant leur chef, par exemple... Andrew,donnez l'ordre aux archers de tirer au-delà de la première ligne et de concentrer leurs tirs sur l'entourage du baron! 

L'ordre fut transmis aux archers qui décochèrent plusieurs volées de flèches sur le groupe de chevaliers normands.Aussitôt, Gautier ordonna à ses guerriers de retourner à leurs postes et de se mettre hors de portée des traits des Saxons. En entendant les sifflements annonciateurs de mort, il avait eu le temps de se protéger avec son long bouclier, mais deux de ses hommes, pas assez prompts,avaient été touchés par les projectiles. Gautier se baissa et hissa sur sa monture l'un des soldats blessés qui était tombé à terre. Une fois qu'il l'eut installé en travers de sa selle, il éperonna son cheval pour rejoindre le couvert des arbres. 

Alinor l'avait suivi des yeux et elle l'observait tandis qu'il faisait glisser au sol le blessé. Elle ne pouvait voir les traits de son visage à cette distance ni les détails de son corps,mais il était vraiment très grand et impressionnant sur son étalon noir. Tout en lui, de son armure à son tabard, semblait sombre. Même son maintien renvoyait une impression de dureté. L'attitude des Normands montrait qu'ils avaient une confiance totale en leur meneur et lui manifestaient un respect absolu. Il était impératif de les déstabiliser sinon c'était la défaite pour les gens de Thurston. Ses archers n'avaient pas abattu le chef des envahisseurs ? Qu'à cela ne tienne...c'est elle qui le ferait tomber! 

Pendant ce temps, Gautier grinçait des dents et pestait contre ces Saxons qui résistaient plus que prévu. Après avoir déchargé le blessé, il fit faire volte-face à son destrier et lança son cheval au galop vers le château pour rejoindre Thibaud de Landéan, son cousin et second. 

Alinor, qui ne l'avait pas quitté des yeux, le vit s'approcher d'un autre chevalier. Elle saisit son longbow, prit une flèche dans son carquois et se positionna entre deux merlons,les pieds bien ancrés au sol. Patiente, la jeune fille attendit que le baron immobilise sa monture, puis elle engagea la hampe et tendit la corde en prenant une grande inspiration. Bloquant sa respiration, elle visa puis,avec un sourire de délectation, lâcha la tige de bois. 

Au moment où Gautier se penchait pour parler à Thibaud, il entendit un sifflement. Il n'eut que le temps de se retourner avant que le trait d'Alinor ne l'atteigne à l'épaule.La pointe de fer traversa sa cotte de mailles. Sous l'impact, le chevalier se plia en deux et vacilla sur sa selle. Par réflexe, il se retint au pommeau, puis se redressa et arracha la flèche,d'un mouvement vif. 

Voyant que le Normand restait toujours en selle, Alinor éructa un juron bien peu féminin : «Tudieu! » Décidément,la chance n'était pas avec elle ! Ce satané Normand avait bougé au mauvais moment. Elle plissa les yeux et l'observa avec attention. Il lui sembla que du sang s'écoulait abondamment de sa blessure. La jeune fille eut un sourire de satisfaction quand l'ennemi porta la main à son épaule pour essayer d'arrêter l'hémorragie. 

Pendant ce temps, les soldats normands,anxieux de l'état de leur chef, s'agitaient autour de lui pour calmer le destrier nerveux.Andrew, qui avait aussi suivi les gestes du chevalier, ne cacha pas son contentement :     

  — Joli tir, damoiselle ! Le baron n'est peut-être pas mort,mais il est suffisamment blessé pour que ses hommes soient moins confiants. 

L'esprit d'Alinor était en ébullition, elle songeait déjà à la suite des opérations. Cela était bel et bien bon de l'avoir atteint, mais ce n'était pas assez. Il fallait utiliser la confusion dans les rangs ennemis pour passer à l'étape suivante. 

— Maintenant, il faut profiter de la situation et les surprendre. 

— Et que comptez-vous faire, damoiselle ? Devons-nous continuer à les harceler avec nos archers ? 

— Oui, nous allons les harceler, mais là où ils ne s'y attendent pas. Nous allons mener le combat à l'extérieur de nos murs.  

Combat d'amour - Tome 1 [ 2018 ADA Editions - 2023 auto-édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant