3. Reddition (version éditée)

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Tandis que Brynn déshabillait sa maîtresse avec précaution et la couchait entre les draps, lady Judith alla chercher sa sacoche de simples dans sa chambre. Dès son retour, elle se précipita au chevet de sa fille pour l'examiner. Elle ôta les débris de mailles de fer de la plaie et la lava à grande eau. La blessure était assez profonde et nécessitait d'être suturée. Pendant que Brynn pressait un linge propre dessus pour étancher le sang qui s'écoulait, lady Judith prépara une aiguillée. Elle entreprit de recoudre l'entaille après en avoir frotté les bords avec une herbe anesthésiante. Avec patience, elle s'appliqua à faire de petits points serrés. À chaque fois que l'aiguille perçait la peau tendre du flanc d'Alinor, celle-ci sursautait et sa mère crispait les lèvres à l'idée de la souffrance qu'elle lui infligeait. Après de longues minutes de torture, lady Judith put enfin nouer le fil et le couper. Elle enduisit ensuite la suture d'un baume puis, pendant que Brynn relevait et soutenait le buste de la jeune fille inconsciente, elle banda son côté.

Le lendemain, la fièvre se déclara sans qu'Alinor ait repris connaissance. Commença alors une attente angoissante pour les habitants du château. Brynn et lady Judith, aidées de Martha, la vieille nourrice, se relayèrent pour la veiller. Durant cinq jours, elles changèrent ses pansements, bassinèrent son corps avec des linges mouillés et l'obligèrent à avaler des décoctions pour faire baisser sa température.

Pendant tout ce temps, Andrew prit le commandement et organisa la défense de la forteresse. Il fit rationner la nourriture, mit femmes et enfants à contribution pour entasser des pierres en haut des remparts, pour aider à la fabrication des flèches et renforcer les fortifications. Malheureusement, les Normands étaient nombreux et très bien équipés, si bien que les gens de Thurston durent se résoudre à subir un siège difficile. L'eau n'était pas un problème, car la place forte bénéficiait d'un grand puits, mais au bout d'une semaine, les vivres commencèrent à manquer et il fallut abattre une partie du bétail.

Après treize jours de combats acharnés, les Saxons résistaient toujours, bien qu'affaiblis par les privations. Mais lorsqu'il devint évident que les renforts ne viendraient pas, ils se rendirent, la mort dans l'âme. Sur l'ordre de lady Judith, Andrew hissa un drap blanc en haut du donjon. Quand l'arrêt des hostilités fut accepté par les deux camps, la dame de Thurston fit ouvrir les portes de la forteresse en priant pour que les vainqueurs se montrent magnanimes et honorables.

Sans tergiverser, les Normands entrèrent dans l'enceinte du château, où tous les guerriers saxons étaient réunis. Ils investirent rapidement les lieux. Après avoir sécurisé la haute-cour, ils firent une haie d'honneur pour leur chef. Le baron de Fougères passa en revue ses soldats, puis il se tourna vers l'assemblée de Saxons. Plus le temps passait, plus les gens affluaient dans la cour. Il y avait là des hommes d'armes, des serfs, des artisans, des serviteurs, ainsi que quelques femmes avec leur progéniture. Dans l'ensemble, les habitants de Thurston semblaient à peu près en bonne santé, malgré le siège qu'ils avaient dû soutenir. Les plus jeunes surtout n'avaient pas l'air d'avoir trop souffert des privations. Le Normand comprit de suite de quoi il retournait ; les adultes s'étaient privés pour que les enfants ne pâtissent pas du manque de vivres.

Du haut de son destrier, Gautier observa de plus près la physionomie des Saxons et fut frappé par les regards meurtriers dont il était la cible. Bien qu'affaiblis par le manque de nourriture, les assiégés restaient belliqueux et tout dans leur attitude montrait qu'ils se soumettraient difficilement. Les hommes surtout, ne demandaient qu'à en découdre avec leurs envahisseurs. Alors que le baron de Fougères se disait que, pour asseoir son autorité sur ses nouveaux serfs, il lui faudrait mater de façon exemplaire tout signe de rébellion, il y eut du mouvement à l'entrée du donjon. Les gens s'écartaient et il vit un groupe de chevaliers saxons venir vers lui. Conscient du danger qu'ils pouvaient représenter, le Normand les examina d'un rapide coup d'œil. Comme la plupart des Saxons, ils étaient plutôt de taille moyenne, arboraient une bonne musculature et de solides appuis. Gautier ne put continuer son examen, car les chevaliers s'effacèrent pour laisser le passage à une belle femme brune.

Cette Saxonne devait être la dame du seigneur de Thurston, car elle semblait très respectée et était vêtue avec noblesse. Le visage marqué par les privations, elle se tenait droite et gardait un port de tête fier. Bien que taillés dans une étoffe de qualité, ses vêtements étaient simples et sans élégance outrancière. Devant cette femme très digne, Gautier de Fougères se sentit inférieur. Il avait conscience d'être sale et repoussant avec sa barbe de deux semaines, ses habits déchirés, crottés de boue et de sang séché. De plus, après plusieurs jours de combat, ses hommes et lui dégageaient des effluves âcres de transpiration auxquelles s'ajoutait l'odeur des chevaux et de leurs harnachements de guerre faits de cuir et de métal.

La femme s'avança au milieu des chevaliers saxons, puis descendit l'escalier en bois à l'entrée du donjon. Elle s'immobilisa sur la dernière marche et le regarda. Du haut de son destrier, il vit l'appréhension tout comme la résignation dans ses yeux bleus. Elle prit une grande inspiration, fit une révérence et s'exprima d'une voix claire :

— Messire Baron, je remets le fief de Thurston entre vos mains.

Sur ces mots, elle décrocha le trousseau pendu à sa ceinture pour le lui offrir dans ses mains ouvertes. Le baron normand démonta aussitôt pour s'approcher d'elle. Avec un hochement de tête, il prit les clés et, les lèvres serrées, lui répondit :

— Je vous remercie, milady. Mais vous nous auriez épargné bien du temps et des pertes en vous rendant il y a deux semaines.

Devant l'air sévère du Normand qui toisait les soldats saxons et les gens rassemblés dans la cour, lady Judith tenta d'amadouer l'envahisseur.

— Les occupants de cette forteresse sont de braves gens et je vous demande de leur laisser la vie sauve. Ils sont loyaux, obéissants et se sont battus à ma requête. Ils ne sont pas responsables.

Voyant que le chevalier haussait un sourcil ironique tout en conservant son air intransigeant, lady Judith prit peur. Elle tomba à genoux et, la tête baissée en signe de soumission, elle s'écria :

— Si vous devez châtier quelqu'un, punissez-moi, mais je vous en supplie épargnez tous les autres habitants.

Aussitôt, le Normand se pencha et lui prit les mains pour la relever.

— Vous n'avez pas besoin de m'implorer de la sorte, milady. Je n'ai pas l'habitude de verser le sang inutilement. Vos gens me seront plus utiles vivants que morts.

— Les femmes... je vous en prie... ne leur faites pas de mal... elles...

Devinant sa crainte, le chevalier l'interrompit. D'une voix adoucie, il la rassura :

— Ne craignez rien, milady. Vos femmes sont en sécurité, elles n'ont rien à redouter de mes hommes. Je ne tolère pas les violeurs dans mes troupes. Aucun de mes soldats ne se risquera à prendre l'une d'elles sans son consentement.

Après l'avoir tranquillisée, il grimpa l'escalier, puis se campa en haut des marches. Il se tourna face à la foule rassemblée dans la cour, brandit le trousseau de clés. D'une voix puissante, il déclara :

— Au nom de Guillaume de Normandie, je prends possession de ce fief. Votre roi Harold a été vaincu à Hastings et vous êtes désormais sous l'autorité du duché de Normandie. Je ne tolérerai aucune rébellion. Tout acte de trahison à mon encontre sera sévèrement réprimé. Ceux qui ne sont pas d'accord peuvent partir dès à présent.

Voyant l'air belliqueux de plusieurs chevaliers, il se fit moins intransigeant et décida de jouer la carte de la diplomatie.

— Votre dame ici présente continuera à assurer la gestion domestique de la forteresse en attendant que Guillaume de Normandie statue sur le sort de ce fief. Dorénavant, tout ce qui touche à la défense ou aux terres est de mon ressort.

Le Normand donna ensuite des ordres pour le cantonnement de ses troupes, puis il se tourna vers lady Judith :

— Milady, comme je l'ai dit tout à l'heure, je vous laisse libre de gérer cette demeure et les domestiques. Tant que nous cohabiterons pacifiquement, tout se passera bien. Mais si vous me créez des difficultés ou cherchez à nuire à mon autorité, je n'hésiterai pas à vous enfermer dans votre chambre. Suis-je suffisamment clair ?

Lady Judith acquiesça :

— Oui, messire, je comprends. Je vous suis reconnaissante de vous montrer aussi magnanime.

— Puisque nous avons éclairci la situation, veuillez me conduire à mes quartiers maintenant et prendre les dispositions pour l'installation de mes chevaliers.

Combat d'amour - Tome 1 [ 2018 ADA Editions - 2023 auto-édition]Where stories live. Discover now