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Mon trajet jusqu'à l'Université me pose un problème. Autant l'itinéraire est parfaitement clair pour mon esprit, autant je ne parviens pas à me défaire des quelques minutes qui viennent de s'écouler. Ce nom, ce visage, ce sourire. Ce sourire. Ce n'est pas la première fois que je remarque chez des hommes des traits qui me plaisent. Je n'ai d'ailleurs aucun problème sur le sujet. Ce ne signifie pas pour autant que l'envie me vienne de connaître plus avec ces hommes.

Esthète, j'aime les corps beaux, qu'ils soient féminins ou masculins, même androgynes. Je n'ai jamais compris le refus de certains, plus que de certaines d'ailleurs, de reconnaître à un individu du même sexe des qualités sensuelles, voire charnelles. En quoi devrions-nous nous interdire, au prétexte d'une sexualité étiquetée et bornée, d'observer ce que la Nature a fait de plus beau en nous.

Non, je n'ai jamais eu envie d'un homme. Mais non, je ne me suis jamais refusé d'observer, de commenter, d'accepter l'attirance pour les caractéristiques d'un éphèbe comme d'un brillant intellectuel. Ce n'est pas la femme, pas l'homme, pas le sexe, ou même le genre, qui me mènent à contempler. C'est la splendeur de l'action, du corps, de l'esprit, de l'âme.

Alors que le sourire de Rafael m'ait attiré ne me choque pas. Je suis choqué d'avoir eu une telle pensée pour un de mes étudiants, et telle est toute la différence. Je n'en ai pas le droit. Mes collègues me diraient que j'ai tort, surtout ceux qui n'hésitent plus une seconde à connaître les plaisirs charnels bien réels, et non contemplatifs, avec celles et ceux qui, quelques heures plus tôt, étaient assis en face d'eux à l'écoute de leur cours.

Le respect, toujours. Cardinalement. Dans quelques états américains, lorsque je tenais mon discours sur la considération des étudiants tels des êtres pleins et entiers au lieu de les réduire à leur statut, quelques collègues grivois ne se gênaient pas pour utiliser ma conception pour justifier leurs incartades. Après tout, puisqu'ils sont comme les autres, pourquoi leur retirer la possibilité d'avoir accès à leur enseignant jusqu'au bout.

J'avais confié à Raphaël mon trouble après cet échange. Je ne pensais pas qu'ils avaient raison. Néanmoins, je reconnaissais ici une faille dans mon raisonnement. Je mets moi aussi une distance avec mes étudiants, à grands renforts de plaisanteries, de compréhension mutuelle, de pédagogie inversée. En détruisant la barrière habituelle que ces professeurs mettaient entre eux et les étudiants, j'avais renforcé la distance, j'avais créé une bulle opaque, j'avais rompu le désir, au sens philosophique bien sûr.

Raphaël avait eu du mal à me convaincre que j'avais tort, et qu'il en était la preuve. D'ailleurs, il avait profité de cette discussion pour me montrer combien j'étais porté sur mes étudiants, et le monde extérieur en général, quitte à délaisser ma propre vie personnelle. Il n'avait pas tort, je le concède. Ce n'est pas le sujet néanmoins.

Raphaël... Rafael... Mon esprit s'illumine. J'ai compris d'où vient mon malaise... Me voici revenu des années en arrière. Je suis en train de transférer sur Rafael tout ce que j'ai vécu avec Raphaël. Je m'inquiétais pour rien. Je ne suis pas attiré par Rafael, ni par Raphaël d'ailleurs, mais simplement par la volonté de retrouver à Madrid l'alter ego de celui qui est devenu un de mes plus proches amis. Evidemment.

Soulagé de cette révélation relativement mineure pour toute personne normalement constituée, je reste chagriné par ce second étudiant qui, malgré son regard perçant, était resté impassible et creux avec moi. Je n'aime jamais débuter un cours sur une mauvaise impression. La prochaine fois, j'irai le voir. Comprendre le malaise.

Les escaliers grimpés, j'atteins le bureau de la rectrice. Elle m'attendait, visiblement :

« Florent ! Enfin ! Comment s'est passée ton arrivée ? me dit-elle en m'embrassant,

Special Teacher (B&B)Where stories live. Discover now