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Mon premier réflexe, sans doute idiot, est de regarder autour de moi, comme si l'auteur de ce message pouvait être là, en train de m'observer. C'est absurde, l'heure d'envoi de l'email correspond davantage à la fin de la matinée, lorsque les dernières interventions prenaient fin. C'est incompréhensible, tout simplement.

Je le relis encore et encore, essayant de comprendre. Oui, c'est bien un inconnu qui m'a écrit. Mais surtout cet inconnu n'est pas accusateur. Il n'est pas violent. Il est juste aigri. Triste. Blessé. C'est du moins ainsi que j'interprète ce message. En disant il sans savoir s'il est vraiment il.

Bien que... Si, l'auteur est un bien un homme. Un autre. Une femme aurait-elle écrit un autre en parlant d'un rival. Non. Je ne pense pas. Ce serait malmener la langue française. La langue française ! Le message est en Français. Ma théorie tombe à l'eau. Une jeune femme espagnole aurait très bien pu commettre cette maladresse.

Même si envoyer un tel message demande une certaine réflexion. Non, après tout, ce peut être aussi de la précipitation. Un accès de colère, une tension vive, et voici que le message est écrit puis parti. Rien ne tient dans mes réflexions. Je suis face à cette ligne, écrite en caractère gras sur mon téléphone. Sans auteur. Sans réel destinataire.

J'ai beau être visé, je ne sais pas qui est cet autre. Et surtout quelle préférence, exactement ? Je n'arrive pas à savoir ce qui se dissimule au fond de ce message. Une jalousie quasi-maladive ? Un mal-être face à mon témoignage de ce matin ? Une mélancolie estudiantine alors que certains étudiants ont, il est vrai, été plus proches de moi que d'habitude.

Rien n'est très cohérent dans mon esprit. Si ce n'est le vouvoiement. C'est la seule preuve tangible que j'arrive à exploiter. Il s'agit bien d'un ou d'une étudiante. Personne d'autre n'aurait pris le temps d'écrire en Français pour finalement me vouvoyer. Juste après que j'ai perdu mon sang froid. Il y a eu une cassure, une brisure, un morcellement à ce moment-là.

Plus je relis ce message, plus j'y vois davantage une tristesse tragique qu'une colère profonde. Il ou elle m'annonce, simplement, sous couvert d'anonymat, qu'il ou elle préfèrerait être au centre de mon attention. Pourtant, je ne vois personne qui, à l'instant présent, occuperait suffisamment mon esprit pour que je néglige mes propres étudiants.

Même si celle-là ou celui-ci semble espérer davantage qu'une simple relation entre un étudiant et son enseignant. Peut-être est-ce ma faute ? A trop vouloir tisser avec eux des liens légèrement plus forts, n'aurais-je pas donné de faux espoirs à l'une ou l'autre ? Je commence à le croire sincèrement.

Restent toujours les mêmes questions : qui a été déçu et, surtout, de qui ai-je donné l'impression de me rapprocher ? Si ce n'est de mes collègues, je ne vois clairement pas. Et dans un sens, je suis inquiet.

« Ca va pas Monsieur ? »

Rafael. Evidemment. Je suis tellement aveugle. C'est lui qui m'a troublé. Hier. Ce matin. Tout à l'heure encore. C'est Rafael. Et quelqu'un l'a vu. Quelqu'un s'en est offusqué.

« Monsieur ? relance Rafael, visiblement mal à l'aise.

— Oui Rafael. Tout va bien.

— Pourtant vous êtes bloqué ici depuis dix bonnes minutes, sans bouger, sans lâcher votre téléphone. C'est flippant.

— J'étais simplement perdu dans mes pensées.

— Et bien, si vous préparez nos cours comme ça, en devenant mime dans la rue, prévenez-nous, on viendra vous voir ! » éclate-t-il de rire.

Special Teacher (B&B)Where stories live. Discover now