- 10 -

2.9K 225 72
                                    

Reprendre mes esprits après cet éprouvant moment avait été délicat, venant subtiliser une dizaine de minutes de la présentation. Je n'intervenais plus, ce n'était donc pas grave en soi. Mais je déteste ne pas être là mentalement quand je le suis physiquement. Ce peut paraître logique. Je considère que c'est une marque de respect. Le respect, toujours.

Les intervenants présents sont de grande qualité, et j'apprécie sincèrement, une fois remis, leurs discours. Tout en saisissant la gravité de la situation, ils parviennent à rassurer des jeunes qui, pour certains, semblent complètement perdus. Je crois que mon souvenir n'a fait qu'accentuer chez certains la confusion.

Pourtant j'ai cru nécessaire de le faire. Leur raconter que tout peut arriver. Que ce n'est pas seulement un roman, un film, une série. Oui, dans la vie de tous les jours, de telles catastrophes peuvent advenir. C'est tout à fait possible. Et hélas bien trop régulier. Tel est le sens, aussi, de l'organisation de cette journée.

Pendant qu'un de mes collègues tente de rendre digeste le point de vue biologique de l'usage des drogues, je laisse mes yeux vagabonder sur cette salle. Si je suis remis de mes émotions, je ne prends pas encore la mesure de l'élan solidaire qui a, tout à l'heure, tenté de me relever alors que j'avais un genou à terre.

Evidemment, je vois encore Rafael. Je repense à sa main sur mon épaule. Tout en sobriété, en retenue aussi. Mais je dois avouer que ce geste ne me laisse pas indifférent. Il y a chez Rafael une sorte de bonhommie, de sympathie naturelle. Malgré son retard hier, malgré son comportement légèrement dilettante, il me semble très compliqué de lui en vouloir.

Il est bien trop absorbé par l'intervenant pour remarquer que je le regarde. Mais ce n'est pas le cas de son ami, placé juste derrière lui. Son sourcil se lève quand il constate que je regarde dans leur direction. Alors qu'il s'apprêtait sans doute à me sourire, ses sourcils se froncent en remarquant que mon regard est placé un peu plus bas. Mais quand nous nous regardons, ses traits s'adoucissent.

Quant à Alejandro, il est tout simplement parti, bien avant que la pause déjeuner ne soit décrétée. Je profite de ce répit pour regarder un instant les notifications de mon téléphone pour y constater un email et un appel. L'appel provient de Maximino, à qui j'ai donné relativement peu de nouvelles, c'est exact.

Concepción décide de lever la séance et nous invite donc à nous diriger vers le salon situé à quelques mètres pour que chacun puisse se saisir d'un panier repas. Nous avions tout prévu pour éviter que les étudiants ne se sentent en cours. Nous préférons largement cette ambiance, certes lourde au regard du sujet traité, mais bon enfant et conviviale.

Quelques collègues viennent me parler, certains pour faire connaissance, d'autres pour simplement me demander des nouvelles après ces quelques mois d'absence. Ce sont ceux-là même qui, tout à l'heure, étaient autour de moi. Je crois sincèrement que cette scène restera toujours gravée dans mon esprit.

Il est tout de même surréaliste que des étudiants, des collègues et des amis soient là autour de moi, devant des centaines de personnes, à me soutenir alors que j'avais moi-même décidé de raconter cette sombre histoire. Malgré tout, malgré le risque pris, alors que je ne devrais m'en prendre qu'à moi-même, ils étaient là.

Je suis sorti de mes pensées à l'arrivée de Bianca, une collègue de psychologie, avec qui j'avais sympathisé l'an dernier. Je l'ai toujours trouvée sublime. Je me souviens même avoir eu de longues conversations avec elle, accoudés au bar situé au coin de l'université. Y compris le soir, quand nous n'avions pas envie de rentrer.

Nos discussions étaient très profondes. Nous allions parfois nous perdre sur des planètes lointaines, à discuter du sens même de l'Art, à nous opposer de temps à autre sur la définition de mots que plus personne n'utilise, à nous retrouver en revanche sur la manière d'enseigner. Ce sont de très beaux souvenirs.

Special Teacher (B&B)Where stories live. Discover now