54. Attendre et voir venir

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Alyssandra s'interrompit et les trois amies regardèrent Benjamin jouer avec sa pelle et son seau pendant quelques minutes. Absorbées dans leurs pensées, elles réfléchissaient. Zora finit par rompre le silence :

— Je crois sincèrement qu'il ne faut pas que tu tiennes compte de ce qu'il t'a dit en captivité. Je ne vais pas te mentir, il avait effectivement du succès auprès des filles et je ne l'ai jamais vu avec la même nana en soirée, à l'époque. Mais ce n'était pas lui qui draguait. Il n'en avait pas besoin. Tu sais comment ça se passe avec toutes ces filles qui tournent autour des militaires en boîte...

— Oui, je sais. On a un peu parlé d'Hudur. Il ne se souvenait même plus de ce qu'il m'avait dit. Quand je le lui ai rappelé, il m'a dit que c'était il y a longtemps et que les choses avaient changé. Et aussi qu'à l'époque il ne savait pas s'il pouvait me faire confiance ou pas.

— Donc Zora a raison, tu ne peux pas te fier à ce qu'il t'a dit ! renchérit Shana.

— Il faut aussi que tu tiennes compte d'une chose, Sandy. Il a cherché à te retenir pour que tu passes la nuit puis le week-end avec lui.

— C'était pour que ça se passe bien avec Benji.

— Tu as été assez bête pour gober ça ? ironisa la doctoresse.

— Et tu oublies une chose, ajouta Shana. Si c'était juste une histoire de cul pour lui, s'il avait juste voulu savoir comment ça aurait été entre vous dans un contexte normal, il ne t'aurait pas fait cette proposition le lendemain. Je suis persuadée qu'il veut continuer avec toi.

— Shana a raison. Si Woody était un cavaleur, il aurait tiré sa révérence après avoir obtenu ce qu'il voulait de toi. Or il te propose d'aller plus loin...

Alyssandra passa sa main dans ses cheveux pour discipliner les mèches que le vent faisait voler. Elle en attrapa une et l'entortilla autour de son doigt tout en méditant les paroles de ses amies.

— Et si c'était uniquement pour Benji ? Il a peut-être trouvé un moyen d'allier le pratique à l'agréable. Si on habite ensemble, il aura certains avantages. Il pourra vivre avec son fils, il aura quelqu'un pour s'occuper de son foyer, gérer la logistique quand il sera en mission et, en prime, une nana dans son lit chaque nuit.

Shana secoua la tête.

— Je ne pense pas qu'il réfléchisse de la sorte, Sandy.

— Je pense comme Shana. Je ne le vois pas aussi calculateur. Je pense qu'il n'a que deux choses en tête : Benji et toi.

— J'avoue que je ne l'imagine pas aussi retors. Il avait l'air sincère quand il m'a fait sa proposition. Honnêtement, ce n'est pas son passé de dragueur qui me pose problème. Du moins, ça ne m'en pose plus. Je crois que lorsqu'il se mettra vraiment en couple, il sera fidèle. La question est plutôt de savoir s'il peut avoir des sentiments pour une femme au point de vouloir passer sa vie avec elle. Il n'a jamais eu de relation à long terme. Ni même de relation du tout. Si ça se trouve, il se figure vouloir construire quelque chose de sérieux, mais il se leurre et il va se rendre compte dans quelques mois que ce n'est pas ce qu'il veut ou que ça ne lui convient pas.

Zora entoura les épaules de son amie de son bras pour lui apporter un peu de réconfort.

— Quel que soit le mec, tu te poseras toujours cette question, Sandy. Tu ne peux être sûre de rien. Il y a toujours des impondérables dans la vie.

— Je le sais bien. Et c'est aussi ce qui me freine. Je crois que j'ai tendance à faire une fixation sur l'aspect sentimental pour ne pas trop me pencher sur la vraie raison. Celle qui me retourne l'estomac quand j'y pense.

— Et quelle est la véritable raison qui te retient de tenter quelque chose avec Woody ?

— Le... le risque.

— Le risque ? Mais enfin, de quoi parles-tu ? s'exclama Shana.

— Elle parle des risques du métier. C'est cela, n'est-ce pas, Sandy ?

— Oui, souffla Alyssandra. Je suis déjà terrifiée à l'idée qu'il lui arrive quelque chose, bien que je le considère uniquement comme le père de mon fils. Alors, si on se met en couple, si je tombe amoureuse de lui et... et qu'il est tué... je... je ne pense pas que je pourrai supporter une telle épreuve. Benji aura besoin d'un père de remplacement, mais je serai incapable de lui en procurer un.

L'Afro-Américaine l'étreignit avant de murmurer :

— Tu es plus forte que tu ne le crois, Sandy. Tu as survécu à la Somalie, à ce qu'il s'est passé en Colombie. Si le pire devait arriver, je suis certaine que tu surmonterais cette épreuve également. Pour ton fils.

— Je ne veux pas ! Je ne veux pas me retrouver dans un cimetière à voir ses collègues planter, l'un après l'autre, leur trident sur son cercueil !

— Ne pense pas au pire.

— Zora, je ne suis pas ignorante. Je connais les statistiques. Tu sais aussi bien que moi que le taux de mortalité au DEVRU est un des plus élevés. Ils sont sur les missions les plus périlleuses.

— Peut-être, mais ce sont aussi les meilleurs et ils veillent les uns sur les autres.

— N'oublie pas que tu es dans la même situation, Sandy. Toi aussi, tu vas sur le terrain et tu t'es déjà retrouvée en situation critique.

— Exactement, Shana ! Et pourtant, je vais assez peu sur le terrain. Alors que lui, il y est souvent. Et vous oubliez un truc. Même si on fait abstraction du danger, les déploiements sont parfois longs.

— Toutes les femmes de militaires sont confrontées à cela, Sandy. Tu ne seras pas la seule dans ce cas.

— Je sais qu'il y a des milliers de femmes qui vivent ça, Shana. Mais je me souviens de l'angoisse de ma mère quand mon père partait pendant des mois et que nous n'avions que très peu de nouvelles. Je n'ai pas oublié non plus le manque que nous ressentions pendant ces absences. Matt et moi en avons beaucoup souffert. Callie moins, et Miles presque pas, parce qu'après leur naissance notre père est monté en grade. Je ne suis pas sûre d'arriver à le supporter. D'autant plus qu'il y aura les déploiements de Woody, mais aussi les miens. On aura combien de temps à passer ensemble chaque année ?

Zora tempéra ses propos :

— Ça ne sera pas aussi difficile que tu le crois. N'oublie pas que tes déploiements ne seront jamais longs, Alyssandra. Tu n'es pas intégrée à une unité de terrain, tu n'y vas que ponctuellement.

— C'est vrai, mais ce n'est pas le cas de Woody.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? s'enquit l'informaticienne.

— Je n'en sais trop rien pour l'instant. Il a dit qu'il me laisserait aller à mon rythme, alors je pense que je vais attendre. On va voir comment ça va se passer à son retour quand on se verra pour Benji. Je vais finir de me persuader que j'ai raison de vouloir lui faire confiance. Je ne le connais pas encore assez pour en être certaine. J'ai besoin de temps. Et surtout, j'ai besoin de voir comment je vais réagir quand il partira en déploiement long.

— Donc, tu vas lui laisser une chance ? demanda Shana.

— Oui,dans le sens où je ne rejette pas d'emblée son idée. Je vais encore y réfléchir, faire abstraction de ce qu'il m'a dit à Hudur et surtout essayer de passer un peu de temps avec lui pour mieux le connaître. Mais en attendant de faire un choix pour mon avenir, hors de question que je couche encore avec lui, sinon je ne vais pas pouvoir prendre une décision de manière réfléchie. Je suis incapable de raisonner sainement quand il me touche. Il a un impact monstrueux sur moi, il me fait tellement d'effet que c'en est même effrayant. J'ai l'impression de ne plus rien contrôler émotionnellement et ça me terrifie. Je me sens vulnérable et... ça ne me plaît pas.    

Unité d'Elite tome 2 [éditions BMR Hachette - mai 2018]Where stories live. Discover now