PROLOGUE (suite)

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Il fait nuit et je ne devrais pas être là. Hakim voulait m'accompagner mais c'était lui faire prendre trop de risques. C'est lui qui fait tout le travail en amont, et même s'il y a de fortes chances que cette possibilité n'aboutisse jamais, il est déjà suffisamment trempé dans mes sales affaires pour que je ne lui en demande plus. Même si c'est lui qui le propose. D'autant plus si c'est lui qui propose. Je me sentirais trop coupable si jamais il devait lui arriver malheur par ma faute.

J'ai été on ne peut plus honnête dans ma lettre : Hakim ne m'a jamais lâchée. Du moment où nous avons quitté la rame de métro, il est toujours resté à mes côtés quitte à affronter tous les dangers. Une partie de lui culpabilise à tord de ne pas être arrivé assez vite à Orléans, il pense que s'il avait roulé plus rapidement nous serions arrivés à temps avant que tout ceci ne se produise. La vérité c'est que nous serions tous morts si cela avait été le cas.

C'est grâce à lui que nous avons plus ou moins su le déroulement de l'enlèvement de ma fille et pour ça je lui en serai éternellement reconnaissante. Hakim a grandi dans l'une des banlieues les plus pauvres de la France Réunifiée. Ca forge le caractère et oblige à posséder des contacts. Il n'a pas à regretter quoi que ce soit, il m'a déjà tant donné et je suis persuadée qu'un jour une piste aboutira.

Il le faut.

Avant de quitter la ruelle sans éclairage dans laquelle je m'étais enfoncée, je tourne discrètement la tête de gauche à droite avant de raser les murs, le pas rapide et la tête basse. Le couvre-feu est dépassé depuis plus d'une heure, j'ai beau avoir mes papiers de travailleuse utile, si jamais je tombe sur un milicien en faction, je sais très bien ce qui m'attend. Au choix : une agression physique et/ou sexuelle voir une place pour le bus de la mort ou une balle si j'ose répliquer.

Cette situation me rappelle une période de l'histoire qu'avait évoqué ma mère quand j'étais plus jeune. Les écrits avaient tous disparus et aucun lien internet n'était disponible, mais il lui en fallait plus pour la décourager. Ma mère avait conservé ses cahiers d'écoles de la primaire à la terminale. Suffisamment de bouts de papier à l'encre diluée par le temps pour m'apprendre le strict nécessaire sur le passé, dont la Seconde Guerre Mondiale.

L'exclusion était abordé sous un autre angle, mais les conséquences étaient les mêmes : des millions de personnes déportées on ne sait où, là où la Faucheuse a libre court d'exercer son art.

Frissonnante, je ressers mon manteau en laine épaisse et accélère le pas, passant par un chemin certes plus long, mais moins exposé aux drones et aux militaires. Dans dix minutes tout au plus, je serai en sécurité chez moi, à faire la cuisine pour ma nièce Eléonore, seule survivante de ma famille.

Certes, c'est une adolescente de seize ans extrêmement capricieuse et difficile à supporter tant elle est superficielle. Ceci dit, et pour sa défense, la fille de mon défunt frère a eu la malchance de grandir dans un système où la propagande était telle que rien de tout ceci ne semble la choquer.

Comme on le lui a expliqué à l'école jusqu'à ses treize ans puis à la télévision maintes et maintes fois : la Journée Noire était une bavure et les Etats Réunifiés Mondiaux sont la solution à tout.

Dans la tête des enfants de notre patrie, être trié et ne pas avoir le choix de son avenir est tout à fait normal car cela rend la société plus productive. La clé du bonheur se trouve désormais dans la consommation et l'image quand les religions sont prohibées car proclamées génératrices de haine. Les institutions morales n'ont plus aucune valeur dans les cœurs quand l'amour se fait de plus en plus rare et moqué.

Individualistes, les hommes ne se contentent plus que de la chair et de futilités quand les élites se délectent de la vie en dépensant la richesse que nous produisons. Galants, ils nous laissent parfois quelques miettes, mais cela reste trop rare.

Violette!Where stories live. Discover now