29. S'accrocher

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En principe, les heures de visites sont terminées depuis longtemps et l'hôpital regagne son silence progressivement. Un silence perturbé par les bips incessants des machines auxquelles est branchée Violette. Je m'en veux, j'ai été négligent et je n'ai pas fait suffisamment attention à elle. Je l'ai mise de côté en attendant de pouvoir me trouver une once de bonheur, le temps de m'envoyer en l'air avec Mélanie et maintenant, je suis là à culpabiliser tandis qu'elle semble juste endormie.

J'ai horreur de cette vision. Horreur de voir une personne allongée et connectée à toutes ces machines. Tout ce que j'ai envie de faire maintenant, c'est de fuir. Prendre mes jambes à mon cou et m'en aller, mais je sais que si je fais ça, alors je lui tournerais le dos une nouvelle fois comme je viens de le faire.

Violette n'a personne. Personne pour venir la voir. Personne pour venir s'asseoir là, dans le fauteuil près du lit. Personne pour lui tenir compagnie.

Est-ce seulement possible d'être aussi seule ? Comment fait-elle pour le supporter ? Pour l'endurer ?

"- Si tu savais comme je me sens minable. Tu n'imagines pas. Pardonne-moi Violette. Pardonne-moi de t'avoir laissé derrière."

Ce n'est pas là que se trouve ta place. On devrait continuer cette liste de choses à faire. Se baigner tout nus dans la piscine municipale ou regarder les étoiles. On s'est promis de le faire et crois-moi, on le fera. Je ne te lâcherais pas. Je resterais coller à toi et il faudra que tu me supportes. Que tu fasses avec moi.

Je suis content du moment que j'ai partagé avec Mélanie, vraiment, cela serait hypocrite de le nier et honnêtement, si elle était arrivée à un autre moment de ma vie, peut-être que les choses aurait été différentes. Mélanie est une chouette fille, vraiment, je le pense. J'aime beaucoup de choses chez elle et j'aime la savoir à mes côtés, mais je ne suis pas prêt pour remettre le couvert.

La dernière fille qui est ainsi entrée dans ma vie m'a abandonné au moment où j'ai eu le plus besoin d'elle et depuis, je le vis comme une trahison. Ça me fait vraiment chier. On dirait un lycéen incapable de se remettre d'un petit chagrin d'amour.

Mais le truc c'est que le chagrin d'amour cache le chagrin tout court.

J'ai perdu ma petite soeur et ça, je ne m'en remettrais jamais.

La psy dit que je peux aller de l'avant si je le souhaite, mais entre nous, les psys, c'est tous de gros enculés. Ils peuvent aller se faire voir eux et leurs beaux discours. Ils font des études pour comprendre le cerveau des gens, pas leurs cœurs. Et c'est ça qui trahit tout : nos sentiments.

Je me sens vide depuis la mort de Clem'. Je me sens sans but. Et puis Violette est arrivée. Cette folle furieuse tapant tout le monde est arrivée dans ma vie.

Soudain une pensée me traverse l'esprit : On dit que les femmes sont comparables aux fleurs. Et si Violette en était une ? Laquelle ça serait ? Sûrement un pissenlit. Fragile. Vulnérable. Pouvant disparaître à tout moment.

Violette est un pissenlit.

C'est moche un pissenlit, mais ça amuse les gens. Dès qu'on en voit un, on se sent obligé de souffler dessus.

C'est moche un pissenlit, mais ça mets un sourire sur visage et ça, c'est beau.

Un peu plus tard dans la soirée, Sophie vient m'apporter mon repas et vérifier l'état de Violette. Elle me regarde avec à la fois bienveillance et désolation.

"- Tu sais, tu devrais te reposer un peu. Je peux demande à préparer un lit à côté si tu veux.

- Le fauteuil me va...Et plat à emporter ?

- Tu ne croyais quand même pas que j'allais nourrir mon maigrichon préféré avec l'horreur de la cafèt' ? Voyons Valentin.

- T'es vraiment mon infirmière préférée !

- Charmeur ! Fais attention à ce que tu dis, une certaine personne pourrait entendre."

Est-ce vrai ? Est-ce que les gens peuvent nous entendre quand ils sont dans un tel état ? Je n'y crois pas. Je ne veux pas y croire. Ça voudrait dire que Clem a passé la fin de sa vie à entendre ses proches, ses amis, sa famille, pleurer. Je ne veux pas de ça.

"- Tu es sûr que ça va Val' ? Tu sais que...

- Ah non, tu ne vas pas t'y mettre aussi en me disant que je n'ai pas à culpabiliser ?

- Non, j'allais te dire que si tu as besoin, je suis là.

- Merci Sophie et...excuse-moi."

Elle repart peu de temps après tandis que je tente de m'installer aussi confortablement que possible dans le fauteuil. Je suis malheureusement bien trop grand pour me mettre à l'aise, mais le temps d'une nuit, ça devrait pouvoir faire l'affaire. Je ne vais pas m'en plaindre. Je ne suis juste pas en position de le faire à vrai dire.

"- Je me demande si tu m'entends Violette. Si c'est le cas, j'aimerais te poser une question. Tu vas sans doute me prendre pour un idiot, car je sais que tu ne pourras pas me répondre, mais...hé...dis-moi...Pourquoi tu n'es pas venue à tes visites ? Pourquoi tu ne tiens pas plus que ça à vivre ? Tu sais, je n'arrête pas de me poser la question. J'essaye vraiment de comprendre tes motivations, mais tu sais quoi ? Je n'y arrive pas. Je ne te comprends pas. Crois-moi, je te prouverais que ça en vaut le coup ! Je te montrerais qu'il y a plein de choses à voir, à faire. Tu es peut-être condamnée, ça je peux le comprendre, mais je n'ai pas envie de te laisser partir comme ça"

Je n'ai pas envie que tu partes avec la même impression que ma soeur. Ce sentiment de vide peut-être comme si tu laissais quelque chose derrière toi, car crois-moi, tu en laisseras forcément. Tu penses sans doute qu'il n'y aura personne pour te pleurer le moment venu, mais tu te trompes grandement.

Il y aura moi. Je serais là. Sans doute dans ce même hôpital. Sans doute habillé de la même façon. Sans doute en train de répéter les mêmes erreurs que j'ai faites lorsque ma soeur m'a laissé.

Il y aura moi. Laissé pour compter. Abandonné en quelque sorte, car je le verrais forcément comme ça. Je ne peux pas le voir autrement.

Et tu sais quoi Violette ? Cette simple pensée est en train de me grignoter de l'intérieur. Ça me fait mal. Un mal de chien. Un mal que personne ne peut imaginer.

Je n'ai pas envie de revivre ça, mais tu sais, moi je vis et je vis toujours à fond les choses ou du moins j'essaye alors s'il faut que je me jette corps et âme sur toi quitte à en perdre un bout de moi alors...Advienne que pourra. Je le ferais. Je le ferais parce que je suis comme ça.

Dis, tu me comprends ou pas ?

Un Zeste de CitronOù les histoires vivent. Découvrez maintenant