39. Aussi courte soit la vie

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J'ai parlé à Violette de mes parents. C'est venu naturellement dans la conversation et je lui ai dit que j'ai été les voir et que cela ne s'est pas passé comme prévu. Bien évidemment. Rien ne se passe jamais comme prévu. Je lui ai parlé de la réaction de ma mère, de mon père et le fait d'avoir vu mon ex chez eux. Maintenant que j'y pense, je me dis que les choses sont peut-être mieux ainsi, que chacun est heureux et satisfait par la situation et qu'il ne sert plus à rien que je m'obstine à essayer de renouer les liens. Je perdrais mon temps et l'énergie alors que je pourrais faire autre chose. Je pourrais rester ici, veiller sur Violette, voire Jérémy et essayer de faire un pas en avant vers Mélanie. Je pourrais faire tout un tas de choses !

Et pendant que je lui raconte tout ça, Violette ne bouge pas. Elle me regarde, m'écoute, hoche légèrement la tête, fronce les sourcils, mais ne dit pas un mot. Elle attend que je finisse mon récit et honnêtement, je me sens...libéré pourtant ça ne devrait pas être à elle que je devrais raconter tout ça, mais à ma psy. Violette n'a pas à remplir ce rôle-là pour moi.

- Et maintenant ? Qu'est-ce que tu veux faire Valentin ?

- Je n'en sais rien. Enfin si, j'ai une petite idée, mais il faut que j'y réfléchisse. Ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de prendre des décisions précipitées.

- Et pourquoi pas ? Qu'est-ce que tu as à y perdre ?

Sans doute plus rien. J'ai déjà tout perdu. Quand on est au fond du trou, on se rend compte alors de la valeur de la moindre et plus insignifiante petite chose, c'est dingue quand même.

- Il n'y a personne pour prendre les décisions pour toi ou qui est à même de décider de ce qui est le mieux pour toi, mais si j'étais toi...Je n'hésiterais pas trop longtemps.

- Depuis quand es-tu devenue aussi sage ? Est-ce ton petit séjour d'outre-tombe qui t'a fait gagné en sagesse ?

- Pas vraiment, mais je n'ai rien d'autre à faire de ma journée. Je doute pouvoir m'enfuir d'ici.

- La Violette que je connaissais aurait fracassé quiconque se serait trouvé sur son passage.

- Peut-être que je ne suis plus cette Violette-là alors.

C'est étonnant. Je m'attendais presque à la voir mordre une infirmière ou à hurler comme une hystérique tant notre première rencontre m'a été en quelque sorte mémorable. La jeune femme que je vois allongée là, fixant la fenêtre, me fait presque mal au cœur. Elle semble si...si seule. Je veux dire il y a quelque chose dans l'intonation de sa voix qui semble calme presque triste.

- J'ai quand même une préférence par la Violette un peu délinquante.

- Et moi qui pensais que mon ancien moi ferait peur à suffisamment de gens pour me voir débarrasser de tout inconvénient.

- Tu ne m'as jamais fait peur. Ce qui me faisait peur c'était de te voir allongée au dessus du vide, prête à sauter à tout moment.

- Et qu'est-ce qui te fait croire que les choses sont différentes maintenant ?

- Ton regard.

Il n'est plus si résigné qu'il ne l'était il y a encore quelques semaines. Il a un je ne sais quoi de différent. Je ne sais pas si l'on peut dire que c'est le calme avant la tempête et je serais bien incapable de dire ce qui se passe présentement dans la tête de Violette, mais je ne veux pas qu'elle puisse penser à une sombre chose. Qu'importe laquelle.

- Mon regard est comme avant, je ne vois pas de quoi tu parles.

- Tu te trompes. Tu ne peux pas le voir, mais moi je le vois. Il s'est adouci.

Est-ce à cause de moi ? J'ai légèrement ri au nez de Sophie quand elle m'a dit que j'avais une quelconque influence sur cette fille, mais peut-être était-ce réellement le cas. Peut-être que tout compte fait j'arrivais à montrer à Violette que la vie, aussi courte soit-elle, mérite d'être vécue, et ce, pleinement et passionnément.

- N'importe quoi.

- J'aime bien cette Violette-là. Celle qui se rend compte que peut-être, elle compte pour quelqu'un. C'est peut-être présomptueux pour moi de le dire, mais je ne suis pas du genre à me répéter alors je vais le dire maintenant...Tu comptes pour moi. Je ne sais pas quel mot, ni quel sens donner à notre relation ni à ce que je ressens pour toi, mais je sais que sans toi, je n'aurais pas daigné faire l'effort de me rendre chez mes parents.

- Relation ? Tu emploies un mot qui t'échappe Valentin. Fais attention.

- Peut-être. Il est vrai que je suis un homme maladroit, mais j'ai envie que tu t'accroches. S'il te plaît Violette. Je ne sais pas quel combat tu affrontes en ce moment, personne ne semble réellement comprendre ni même en saisir toute l'ampleur, mais j'ai envie que tu te battes un peu plus.

- Je me suis battue pour tellement de choses toute ma vie, je n'ai plus la force de mener ne serait-ce qu'un combat supplémentaire. Je suis lassée Valentin, tu comprends ? Lassée de tout ça. La meilleure chose qui ne me soit jamais arrivée c'est cette maladie. Ça m'a permis de me rendre compte que peut-être la vie m'offrait une porte de sortie. C'est tout ce que je demandais et tout ce que j'espérais. Cela n'a pas changé aujourd'hui.

Je vois. Au final, je pourrais faire pipi dans un violon que cela reviendrait au même. Peut-être m'a-t-elle laissée volontairement entrer dans son espace vital, dans sa petite bulle personnelle, mais ce n'est pas pour autant qu'elle me laisse faire ce que bon me semble. Pourtant, je voudrais la convaincre. Lui faire comprendre que...peut-être, les miracles existent.

Miracle, mon cul. Moi-même je n'y crois pas vraiment. Il y a trop de variables en jeu pour oser prendre un pari et ça, Violette l'a très bien compris. C'est peut-être d'ailleurs, la seule qui comprend et saisit toute l'importance de sa situation. Nous, nous gravitons autour d'elle, impuissants, la regardant se balancer sur la corde raide de la vie, jusqu'au point où elle perdra à un moment donné l'équilibre.

Et elle chutera. Elle chutera sans avoir de filet pour la rattraper. Elle chutera et s'éteindra avec ce dernier numéro.

- En tout cas, je suis contente si tu t'es enfin décidé à aller de l'avant dans ta vie. Il était temps !

- On croirait entendre mon entourage. Quand on me dit ça, je me sens comme lors de mes 23 ans quand on m'a dit "Ah bah t'as enfin ton permis ! Il était temps". C'est vexant.

- Fais en sorte de ne pas l'être alors.

- De ?

- Vexé. Tu crois qu'à nos âges on peut encore se permettre d'être d'éternels enfants ?

Elle marque un point. Je ne peux pas laisser les autres décider pour moi ou me dicter ce qui semble être bon pour moi. Je le sais. J'en ai conscience, et jusque-là je dois avouer avoir abusé de ça, me laissant vivre et aller au gré des gens, mais cela ne peut plus durer. Il faut...Il faut que je me sorte de là, je le sais.

- Je vais passer le concours pour rentrer en école d'infirmière.

Soudain ses yeux s'écarquillent et son air neutre est balayé par un éclat de rire. Un rire moqueur, mais un rire joyeux qui remplit à lui tout seul l'espace de la chambre.

- Sérieusement ?

- Sérieusement.

Je vais le faire. C'est décidé.

- Je ne te vois pas une seule seconde te balader dans ta petite tenue blanche.

- Dommage ! On dit que les hommes en uniformes font grimper le désir sexuel des femmes. Genre c'est votre plus gros fantasme.

- Du style militaire, pompier, oui...Mais infirmier ! Et puis tu es certain que c'est la voie qui te convient le mieux, je veux dire...

- Tu riras moins quand je me pointerai avec le diplôme en mains !

Pour la peine, je l'aurais. Elle ne paye rien pour attendre.

- Je ne demande qu'à voir ça.

Mais Violette ne sera pas là au moment où j'aurai mon diplôme. Elle ne le verra pas. Jamais même. Violette est partie avant même que je n'aie eu le temps d'accomplir cela.

Un Zeste de CitronOù les histoires vivent. Découvrez maintenant