Chapitre 34

789 89 0
                                    

Les derniers mots de Kaya lui firent froid dans le dos. Était-elle prête à prendre un tel risque ? Certes, elle avait envie de voir sa mère plus que tout au monde. Mais peut-être que la voir, à défaut de lui procurer de la joie, la ferait souffrir plus qu'autre chose ? Sa mère avait peut-être un lourd passé. Après tout, elle avait vécu pendant plusieurs siècles. Ne devait-elle pas garder le souvenir d'une mère courageuse et généreuse au risque d'être déçue par une toute autre réalité ? Sans compter qu'elle n'était pas certaine de supporter la vision d'une guerre ou de morts. Elle avait déjà tué un homme - un loup-garou - se rappela-t-elle,  mais il s'agissait d'un acte de légitime défense, fait inconsciemment. Tous les être surnaturels avaient des ennemis et sa mère, à n'en point douter, ne faisait pas exception à la règle. Des batailles, elle avait du en mener, des vies, elle avait du en enlever. Serait-elle capable de faire face à tout cela ? Ou pire, si elle voyait le jour de la mort de ses parents, pourrait-elle le supporter ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir. Après avoir pesé le pour et le contre, elle songea que connaître la vérité sur son passé, aussi sombre soit-il, était préférable à cette ignorance. Elle avait pris sa décision. D'un geste déterminé, elle ouvrit l'une des fiole, la porta à ses lèvres et but le contenu. Le breuvage lui parut étonnamment doux et sucré, avec une pointe d'amertume. Puis elle attendit...attendit...et... ? Rien. 

Alors elle sentit la fatigue venir. Sa respiration se fit de plus en plus lente, sa tête tournait. Elle fut prise de vertiges. Déséquilibrée, elle bascula en arrière. Puis ce fut le noir complet.

.*.*.*.*.*.*.*.*.*.

Brissarthe, en l'an 866...

La bataille opposait les Francs aux Bretons qui s'étaient associés temporairement aux Vikings. Ces derniers, par leur organisation, menaient. Le soleil était couchant. Robert le Fort, ainsi que son armée, les Francs, se sentant poursuivis par l'armée adverse, cherchèrent à se retirer en toute hâte vers leur flotte. Mais, comme ils virent que la fuite ne les sauverait pas, ils pénétrèrent dans un village, près d'une église, où ils eurent le temps de fortifier leur défense. Robert, indisposé par la chaleur, retira son casque et sa cuirasse pour se rafraîchir un moment. Comme tous s'affairèrent à leurs occupations, aucun d'eux ne fut préparé à l'assaut des Bretons et des Vikings. Ceux-ci sortirent soudainement de leur abri et, avec acharnement, se ruèrent sur les Francs, qui loin d'être impressionnés par cet effet de surprise, reprirent leurs armes et repoussèrent leurs ennemis sans difficulté. Cependant, Robert accouru sans armure et sans protection. Il fut rapidement tué. Sans chef, les Francs furent bousculés, désorientés et perdirent le peu de terrain qu'ils avaient réussis à gagner. Parmi l'armée Vikings se trouvait une femme. Eiliv était une femme guerrière très réputée dans son clan. Elle avait un joli visage peigné de traits fins. Afin de ne pas la gêner dans ses mouvements lors des combats, elle avait coupé ses cheveux d'un blond vénitien en un carré court. Son corps était pur, svelte mais cela ne l'empêchait pas d'être sec avec des muscles tonifiés. Elle portait une armure en cuir composée d'un bustier court qui couvrait intégralement sa poitrine et des épaulettes. Le bustier se prolongeait en bas par de la maille doublée de cuir souple. Elle se battait avec aisance et rapidité à mains nues, en utilisant une ancienne forme de lutte vikings très répandue, la Glima. Les vikings utilisaient toutes sortes d'armes telles que des haches, des épées, des couteaux, des frondes, mais ils avaient développé une forme de combat sans armes au cas où ils viendraient à perdre la leur sur le champ de bataille. Les hommes plongés au coeur de l'action étaient pris dans un tourbillon de sensations paradoxales. Ils agissaient de manière mécanique comme des machines, se battaient sans réfléchir et tuaient tout adversaire se mettant sur leur trajet . Eiliv était l'une des seules à ne pas se fier à cette montée d'adrénaline qui pourrait pousser tout autre homme à se sentir invincible. Elle préférait miser sur son instinct et agir avec discernement. Resserrant ses mains autour du cou d'un de ses ennemis, elle sentit la vie le quitter. Il tentait de se débattre, mais sa prise et sa technique étaient imparables. Sur son trajet, elle récupéra une hache plantée dans le corps d'un des cadavre gisant au sol. Elle la maniait avec habileté, la faisant tournoyer et virevolter en direction de ses ennemis. L'arme se fichait dans la poitrine des adversaires, projetés quelques mètres en arrière sous la force de l'attaque. Au fur et à mesure qu'elle avançait, ses gestes fluides et précis continuèrent, laissant derrière elle une traînée de morts, les hommes tombant les uns après les autres. 

Lorsque la bataille fut terminée, elle contempla l'océan de cadavres à ses pieds. Ce n'est qu'à cet instant qu'elle sentit une vive douleur au niveau de son abdomen. Sous le feu de l'action, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait été touchée. Elle marcha péniblement, sa blessure saignant abondamment. A bout de force, elle se laissa tomber au sol à quatre pattes. Sa respiration devint de plus en plus saccadée, le poids de sa blessure l'accablant. Malgré tout elle continuait de contempler le champ de bataille, le dernier sans doutes qu'elle verrait. Elle allait mourir, c'était indéniable. Les yeux mi-clos, elle aperçut alors une forme. Une femme se tenait devant elle, ses cheveux flottant dans le vent. Elle lui parlait, mais ses mots semblaient flous. 

- Tu t'es bien battue, avec force et courage. Tu ne mourras pas, une autre destinée t'attends. Nous sommes amenées à nous revoir, Valkyrie.

Ce furent les derniers mots qu'elle entendit avant de sombrer.  

Les frères de la Nuit - 1 - L'appât Du DésirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant