Chapitre 3

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     Au soir, je vois avec satisfaction que la meilleure table m'a été réservée. Avec ma carte VIP, pas besoin de trouver de la menue monnaie.

     Je porte la robe la plus chère de la boutique. Autant voir les choses en grand. Je me suis coiffée et maquillée comme une pro (enfin, je suis allée chez le coiffeur qui a mis trois heures pour me rendre potable). Je ne me suis jamais beaucoup souciée de mon apparence, pensant juste à vous pour revêtir ma tenue de travail. Parfois sage, parfois féroce, selon votre vie passée. Plus exactement, selon la qualité de cette vie qui s'achève.

     Pour vous donner un exemple, je peux aller chercher un curé en tenue de bonne sœur, avec un visage souriant et plein de promesses pour la suite des événements. Mais s'il s'avère qu'il a joué à « touche pipi » avec des gamins, là, c'est plutôt le diable en personne qui vient le chercher. Et je vous jure qu'il fera dans son froc avant de partir, ce pervers.

    Ça me rappelle un mec qui a particulièrement arrosé son pantalon. Vous allez de suite comprendre à qui je fais allusion. Si je vous dis petit, moche, moustache brune sous le nez et regard de fou exalté. Vous voyez de qui je veux parler ? Alors lui, je l'ai particulièrement gratiné. C'est un Rabbi avec chapeau noir, costume sombre, papillotes et longue barbe qui est venu le chercher. Vous auriez dû voir sa tête. J'ai tellement ri que j'en ai eu mal au bide pendant trois jours. Mais c'est qu'il fouettait, le bougre !

     Il m'arrive de m'habiller en homme, quand les circonstances l'exigent. Mais je suis une fille, comme je vous l'ai dit précédemment. J'entends déjà la moitié d'entre vous crier « Évidemment ». Mais aussi l'autre moitié penser « Et pourquoi pas, après tout ? ». Réfléchissez, gros bêtas. Une femme donne la vie. Il est normal qu'une autre la reprenne, non ?

     Voilà l'entrée qui arrive. Mon tout premier repas. J'en salive déjà. J'ai choisi le plus cher sur la carte. On ne vit qu'une fois (enfin, je crois). Homard grillé avec une salade de chou vinaigré et une sauce au piment rouge (enfin, « Le roi de la mer sur son lit de soie accompagné de sa mère rouge »). Pas mauvais, mais ça arrache la langue. Je suppose que c'est normal. Je vais m'habituer. Le pinard est bon. J'ai choisi un Chablis Grand Cru pour commencer. Assez bon et bien cher. Je veux me vautrer dans le luxe. Après tout, je l'ai bien mérité.

     Où en étais-je ? Ah oui, je suis une femme. Et j'en suis fière. En général, les hommes sont plus couillons face à la mort. « Avoir des couilles » est une expression que je n'ai jamais comprise. Dans mon top 100 des plus grosses crises de panique, il n'y a que des hommes. Les femmes me posent plus de questions. Quand, comment, pourquoi ? Tandis que la majorité des hommes me demande juste si ça fait mal. Le sexe fort n'est décidément pas celui que l'on croit. Les hommes ont aussi en général plus de poids sur la conscience. Et je ne sais pas pourquoi, il faut toujours qu'ils se sentent obligés de vider leur sac quand ils me voient arriver. J'ai alors droit aux coucheries, aux escroqueries en tout genre, voire pire. Pourquoi passent-ils toujours à confesse ? S'ils savaient comme je m'en fous. C'est le patron qui préside le tribunal. Moi, je leur dis juste : « Prends le tunnel, vers la lumière. Tu arriveras dans une pièce ronde. Sept portes s'offriront à toi » (et après, tu te démerdes. De toute façon, j'en sais pas plus).

     Après un sorbet rafraîchissant à je ne sais pas quoi, le plat principal arrive sous une cloche d'argent (j'adore !). Gigot d'agneau de sept heures, flageolets et oignons brûlés. Avec une sauce à se taper le cul par terre. J'ai choisi d'arroser le tout d'un bon Châteauneuf-du-Pape (là, j'avoue, je l'ai choisi pour le nom). Le pingouin en costume noir et chemise blanche m'a dit de sa voix mielleuse : « Voilà un exxxcellent choix, Madame ». Alors, j'ai pris deux bouteilles. Et je me sens merveilleusement bien. J'ai les joues qui tournent et la tête rosée. Mais je tiens la distance. Un bon rot et ça repart !

      Qu'est-ce qu'il a à me fixer comme ça, le mouflet ? C'est le gosse qui s'est vautré tout à l'heure à la piscine. Il tire la manche de sa mère en disant : « Dis, maman, pourquoi la dame elle est toute rouge ? ». Quel toupet ! Bon, j'admets que j'ai un brin abusé du soleil aujourd'hui. Et je n'ai pas voulu me mettre l'huile à frites sur la peau. Je n'ai pas l'habitude, c'est tout. Ma peau me brûle de partout et ça me gratte. A moins que ce ne soit le vin. On verra, je n'ai pas envie de me poser de question. Je laisse couler, comme le nectar rouge dans ma gorge. Ce merveilleux gigot fond tout seul dans ma bouche. C'est la fête des papilles aujourd'hui. Et je n'ai pas encore goûté au dessert.

      Alors, je disais tout à l'heure que les hommes et les femmes se comportent très différemment en me voyant. Les dernières pensées des femmes sont souvent tournées vers leur famille : « Que vont devenir mes enfants et mes proches ? ». Les hommes y pensent parfois. Mais ils pensent plus souvent à leur bagnole ou à leur pognon. Bon, j'avoue, j'ai souvent une opinion préconçue sur les mecs. Mais, de tout temps, c'est quand même eux qui ont toujours remporté la palme de la connerie sur cette bonne vieille Terre. Et les femmes en ont beaucoup bavé par leur faute. Alors, je remets juste un peu d'équilibre dans la balance. Ouh ! J'en vois qui font une drôle de tronche. Allez ! Je vous aime quand même... Mais avouez que les faits me donnent raison. La guerre et le Loto. Le bilan ne penche pas vraiment en votre faveur. Et puis, combien d'hommes en prison par rapport aux femmes ? Les femmes ne sont pas des agneaux blancs, je suis d'accord. Mais elles laissent parler davantage leur cœur, pas leur queue. J'en vois encore qui râlent, là derrière. Je vous rappelle juste une chose : c'est moi qui viendrai vous fermer les yeux. Alors, réfléchissez et soyez très gentils avec moi.

     Je me réjouis à l'avance de l'arrivée du dessert !

     « Verger frivole et sa farandole glacée de plaisirs sucrés. » Tout un programme ! Mais où vont-ils chercher tout ça ?

     La mère gaufrette me lance des œillades à la dérobée. Elle croit que je ne la vois pas ? Si je suis rouge, elle, elle est cramoisie. Je dois bien reconnaître que j'exècre ce comportement chez les meufs. Ces petits coups par derrière. Les mecs sont plus cash et moins fourbes, je l'admets. Mais je ne la laisserai pas gâcher mon premier festin. Le regard des autres n'a que l'importance qu'on lui accorde, après tout.

     Je sens que ma vessie est pleine. Je me lève lentement, mais sûrement. Je m'applique, je marche presque droit. Enfin, je crois. Ces talons sont un vrai calvaire. Qui a bien pu inventer des instruments de torture pareils ? Un homme, à coup sûr. Je n'ai jamais dû marcher plus de quelques pas vers les moribonds. L'avantage de la téléportation. J'humidifie mon visage avec des serviettes qui sentent la lavande. Je dois bien admettre que je suis toute rouge. Ça chauffe un max. Bof, après une bonne nuit de sommeil, il n'y paraîtra plus. Je reviens à ma table en tenant mes escarpins hors de prix à la main. De toute façon, ils ne rentrent plus. Le dessert arrive comme par magie devant moi. Y a pas à dire, le service est impeccable. Et je finis ainsi mon premier repas, en me pourléchant les babines.

     En m'enfonçant sous la couette moelleuse à souhait, je me prépare à dormir ma première nuit entière, sans passer mon temps à courir le monde pour occire à tout va. Parce que si mes journées étaient chargées, je ne vous dis pas mes nuits ! Pas de repos pour les braves. Pour les pigeons, oui ! Je pousse un profond soupir d'aise dans le parfum floral de mes draps de soie et j'éteins ma lampe de chevet dorée à l'or fin. Quand tout à coup, un élancement terrible me prend dans le ventre et me fait me plier en deux.

Je suis la Mort  [sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now