Concours " La plume de Cristal"

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     Les souvenirs d'hiver de Mme la Mort


     Malheureusement, cette période est pour moi significative de surplus de travail, comme vous pouvez vous en douter. Les accidents de voiture, les sans-abris qui meurent dans les rues, les petits vieux qui prennent froid, les maladies et autres virus. En résumé, disons que ce n'est pas ma saison préférée.

     Je n'ai jamais pu bénéficier des plaisirs de la neige. Mais ça va changer ! Mlle Amélie m'a promis de m'emmener faire du ski à la montagne, dans une petite station sympa des Alpes françaises.

     Chaussée de mes skis, je me vois déjà slalomer sur les pistes noires, entre les drapeaux, comme Michael Schumacher (non, mauvais exemple...). Oh, ça va, pas besoin de jouer les offusqués : vous connaissez tous à présent mon humour débile. Et je vous signale qu'il n'est pas encore inscrit sur ma liste. Je me demande comment je m'habillerai pour l'occasion. Peut-être en damier noir et blanc. Non, plutôt en drapeau rouge, plus en rapport avec les circonstances : course interrompue.

     Moi qui croyais que j'allais pouvoir assister à un Grand Prix de Formule 1 dans la voiture du champion, je n'ai même pas eu cet insigne honneur ! J'aurais pu prendre le volant, gagner la coupe et faire mousser le champagne. D'autant plus que je conduis comme une pro, maintenant. J'en vois un qui rigole, là. Attention, mon ami, je t'ai vu !

     Bon, revenons à nos moutons, blancs comme les neiges éternelles. Parfois, vous m'obligez à me lancer dans le froid polaire, au cœur des avalanches, pour aller chercher des amateurs ou simplement des gens qui ont manqué de bol. Mais avouez qu'il faut être un brin stupide pour aller se promener dans la poudreuse alors que les sommets menacent de vous tomber sur la tête. Et vos corps sont si fragiles. C'est bien dommage pour vous. Sans compter qu'il faut parfois vous dégeler avant de vous envoyer faire le grand saut (saut, ski, vous y êtes ? Très bien !). À ce propos, il me revient une petite anecdote récente que je ne vous ai pas encore racontée :

     C'était un jour glacial, dans le Grand Nord, au pays des ours blancs et des pingouins. Une tempête de neige faisait rage et je fus appelée sur la banquise. J'avais mis un beau manteau rouge à ma Pépète, ainsi qu'un ravissant chapeau à pompon pour qu'elle ait bien chaud. Elle était très belle, même si j'avais dû me battre pour qu'elle veuille bien garder son bonnet sur ses oreilles. Sacrée Pépète ! Toujours son fameux caractère de cochon !

     Un homme à l'intelligence hors du commun avait eu l'excellente idée d'aller prendre l'air sans consulter la météo. La tempête l'avait surpris et il était tombé dans l'étang. Le seul trou en plein milieu de l'étendue gelée, là où la glace était la plus fine. Il fallait quand même le faire : je me lève au matin et je me dis que j'irais bien prendre le frais et piquer une petite tête pour voir si l'eau est bonne. N'importe quoi, encore la mort d'une lumière sur cette vaste Terre (tiens, ça rime !). 

     Les tourbillons de flocons s'étant calmés, j'arrivai près de lui. Il finissait de se débattre dans l'eau. Ses membres s'engourdissaient et la vie allait bientôt le laisser tomber. Je me penchai vers lui en tentant d'éviter les éclaboussures.

— Nous sommes ici pour toi. (Vous avez remarqué, ma phrase a changé depuis que ma Pépète fait la tournée avec moi. Je ne suis plus jamais seule, à présent.)

— Au sec... Bloup, bloup, bloup (Bon, vous voyez l'idée).

— Tu aurais pu attendre une météo plus clémente avant de mettre le nez dehors.

— Au sec... (Tiens, il a autant de conversation que Jajaï, mon premier taf.)

     Pépète tenta en vain de l'arroser pour le réchauffer. Peine perdue, je coupai le fil de sa vie, avant qu'il ne gèle lui aussi, et l'homme tomba dans le fond du lac, à point pour sa nuit d'éternité.

     Pépète aboya soudain. Elle était frustrée : elle n'avait pas pu goûter à la viande fraîche. Au début, elle voulait tout le temps arracher un petit bout, histoire d'obtenir sa récompense. Maintenant, je veille toujours à prendre une poignée de nic-nacs dans ma poche lorsqu'on part en tournée. Ça lui évite de piocher dans la boustifaille. Je ne voudrais pas qu'elle tombe malade, ma Pépète adorée !

     Je vous raconterai nos ébats dans la neige lors de mes prochaines vacances. Je vous rassure : juste quelques jours, pas plus, histoire de ne pas réitérer les erreurs du passé.





Je suis la Mort  [sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now