17.

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Abby avait entamé les préparatifs de bonne grâce dès leur retour et là où elle avait mis tant d'enthousiasme à entasser casseroles, denrées et autres nécessaires à leur survie, Sheran finalisa ses efforts parfois peu convaincants. Son frère avait achevé l'œuvre de sa cadette dans un élan de perfectionnisme. Au milieu de tout cela, Kyo avait rempli le rôle du spectateur, partagé entre la sensation d'être de trop et l'émotion de voir de parfaits inconnus s'investir de la sorte. Jamais personne n'avait fait autant pour lui et l'impression impalpable lui parut étrange, indomptée.

La véritable question ne s'était posée qu'au repas du soir, alors que le médecin déposait le plat sur la table. Abby sembla y voir une déclaration de guerre puisque ce geste déclencha la confrontation abandonnée durant l'après-midi. Féroce, la plus jeune provoquait son frère et lui reprochait sa connaissance imparfaite de la forêt. Face à cela, les arguments de Sheran semblaient désordonnés, dictés par des émotions qu'il se haïssait de rendre aussi évidentes. Ni l'un ni l'autre ne cédait un morceau de terrain, plus prompts que jamais à défendre leurs positions.

J'y crois pas, ils s'engueulent pour savoir qui va accompagner le danger numéro un. C'est le monde à l'envers !

— On pourrait demander à Charlie de passer de temps en temps s'occuper du jardin ! s'exclama soudainement Abby, son implication traduite par un enthousiasme aussi débordant que décousu.

— Charlie ? s'enquit Kyo, recouvrant sa sempiternelle suspicion.

— Un vieil ami de notre père, il vient régulièrement ici et ça ne devrait pas le déranger de nous rendre ce service.

— Et tu comptes le prévenir comment ? reprit Sheran, sceptique bien que décelant l'ébauche de solution derrière son évidente mauvaise foi.

Sa sœur se mordit l'intérieur de la joue, les sourcils froncés. Elle se gratta brièvement le front, disciplinant d'un même geste sa chevelure de lionne. Une tignasse qu'elle avait libérée de sa natte et qui se déployait en mèches folles et sauvages autour de son visage honnête où transparaissaient les traits durs communs à son frère. Le fugitif détesta immédiatement l'idée que son sort repose sur la volonté d'autres que lui et, lorsqu'il chercha un semblant d'approbation vers le coin opposé de la table, occupé à Sheran, il ne récolta rien d'autre qu'un regard fuyant.

— On peut toujours passer par chez lui demain, prononça prudemment Abby, moins assurée qu'elle aurait souhaité l'être.

Merveilleuse idée !

— C'est un détour conséquent, protesta son frère.

— Pas tant que ça !

— Il est bien mignon, votre plan tout frais, mais y'a un truc que vous oubliez un peu. On fait quoi s'il décide d'empocher le pactole ? Ma tête est mise à prix et la somme est rondelette. N'importe qui pourrait être tenté, renchérit Kyo, sévèrement.

Moi compris !

La femme gonfla les joues avant de couper le pain sous les yeux des deux hommes. Elle manqua de s'entailler les mains tant ses gestes volontaires tournaient à l'imprécision. Personne n'eut le courage de lui en faire la remarque, craignant d'aggraver sa contrariété. Elle clama, d'une voix forte :

— Il n'est pas comme ça et c'est la seule solution ! T'as pas envie de finir perdu dans la forêt, non ? Si mon idiot de frère ne s'est toujours pas décidé à rester ici, on n'a pas le choix !

Sheran réfléchit aux propos de sa sœur avant de se risquer à échanger une brève œillade avec le hors-la-loi. Ce dernier se livrait entièrement à son jugement dans un haussement d'épaules digne du comportement de son médecin. Ses hôtes représentaient son unique chance de survie, que son excessive fierté se décide à l'accepter ou non.

Coeurs en cage [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant