Chapitre 3

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Dès dix-huit heures trente, Enora était chez les Laferrière. Maggie avait donné leur bain aux jumeaux et préparait le dîner quand Enora s'était présentée. Maggie lui avait ouvert et l'avait fait pénétrer dans le salon, avant d'appeler les enfants pour faire les présentations. Ethan et Chloé étaient des enfants polis et sages. Presque trop, pour des enfants de leur âge. Il y avait une certaine gravité au fond de leur regard, qu'Enora ne pouvait s'empêcher d'attribuer à l'absence de leurs parents. Elle ne souvenait que trop bien de Léo à l'époque où elle l'avait rencontré. Lui aussi paraissait renfermé et trop mature pour ses six ans. Malgré ce qu'elle ressentait, Enora se força à ignorer ce besoin de vouloir tout réparer dans le cœur des adorables jumeaux. Il fallait qu'elle apprenne à mettre de la distance avec ses émotions. Il s'agissait d'un job, il fallait absolument qu'elle mette les barrières nécessaires, pour son bien-être et celui des enfants.

Comme elle était venue pour faire connaissance avec les petits, elle proposa à Maggie de s'en occuper. La gouvernante accueillit avec joie cette initiative et bientôt Enora fut présentée à la famille qu'abritait la maison de poupée de Chloé, tandis qu'Ethan, qui avait rejoint les filles dans la chambre de sa sœur, imitait le grognement d'un dinosaure en faisant tournoyer son tricératops en plastique. Les enfants étaient sociables et se laissèrent rapidement apprivoiser. Jouer avec eux, rentrer dans leur monde, voilà comment Enora arrivait systématiquement à se faire accepter par les tous petits. Elle possédait une douceur toute maternelle qui mettait les enfants en confiance. Ils ne virent pas le temps passé et c'est avec l'impression qu'ils venaient à peine de commencer à jouer qu'ils entendirent Maggie les appeler. Avec enthousiasme, les enfants se levèrent et dévalèrent les escaliers, en criant :

— C'est papa ! C'est papa !

Un peu nerveuse, Enora les suivit jusqu'au salon. Elle allait passer un entretien d'embauche par écran interposé. Difficile de faire passer les émotions par ce biais. Monsieur Laferrière allait-il pouvoir se faire une idée sur sa capacité à s'occuper de ses enfants ? N'allait-il pas la trouver trop jeune, trop inexpérimentée par rapport à Maggie ? Ce jour-là, elle portait des ballerines plates, son jean bleu brut ainsi qu'un chemisier aux petites fleurs prunes et bordeaux. Cette teinte mettait en valeur son teint clair et faisait ressortir le bleu de ses yeux, ainsi que les taches de rousseur qui parsemaient son nez. Elle s'était très légèrement maquillée les yeux et avait souligné sa bouche d'un peu de gloss. Ses cheveux châtains flottaient librement sur ses épaules, jusqu'au milieu de son dos. Aurait-il dû les attacher, comme Maggie le faisait avec son chignon strict ? Qu'allait-il penser en la voyant ? Sa plus grande hantise était évidemment qu'il lui parle en anglais et immédiatement, elle serait démasquée. Elle pourrait riposter que les enfants vivaient en France et qu'il était bon pour eux de parler en français. Aurait-elle l'aplomb de maintenir l'illusion ? Elle se connaissant suffisamment pour savoir qu'elle ne saurait pas donner le change. L'honnêteté était inscrite dans son ADN. C'était à se demander comment elle avait réussi à mentir à Maggie. Le désespoir pouvait pousser aux pires extrémités, semblait-il. Elle n'aurait jamais dû mentir mais elle avait tellement eu envie de décrocher cet emploi. Maintenant, alors que la nécessité de dire la vérité était imminente, Enora se sentait incapable de faire face à Maggie et de lui avouer sa supercherie. Heureusement, lorsque la communication débuta et qu'apparut Monsieur Laferrière, il s'adressa en français à ses enfants. Peut-être que tout se passerait bien, finalement.

Durant de longues minutes, Ethan et Chloé racontèrent leur journée. Ils avaient l'air habitués à communiquer de cette façon et cela donnait l'impression que leur père était avec eux dans le salon. Enora, en retrait, en profita pour observer de loin celui qui, elle l'espérait, serait bientôt son employeur. Il devait avoir aux alentours de trente-cinq ans. Il avait un physique plutôt passe-partout, avec des cheveux châtains, des yeux sombres cachés derrière des lunettes carrées, un nez un peu fort et un visage souriant. C'était évident qu'il adorait ses enfants et l'attention qu'il leur portait quand il les écoutait n'était pas feinte. Si seulement Ludovic avait choisi de partir dans un endroit du globe où il y avait une connexion Internet, lui aussi aurait pu communiquer chaque jour avec ses enfants, donner des nouvelles, les sortir de la situation rocambolesque dans laquelle il avait laissé Enora. Entendant prononcer son prénom, elle sortit de ses amères pensées et porta son attention sur la conversation. Les jumeaux arrivaient au moment de leur journée où ils avaient fait sa connaissance. Maggie s'approcha de l'écran et expliqua la situation à son employeur :

It's time for Love Tome 3Where stories live. Discover now