Chapitre 4

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Le premier soir chez les Laferrière se passa parfaitement bien. Monsieur Laferrière appela à dix-neuf heures précises sur la tablette. Les enfants attendaient déjà devant l'écran quand la sonnerie avait retenti. Ils étaient enjoués et heureux de leur journée. Leur père était plus tendu que la veille, sans doute inquiet de laisser ses enfants à une inconnue. Enora s'était placée en peu en retrait, derrière les enfants, mais restait suffisamment visible pour bien montrer qu'elle était présente pour eux. Il dû faire ses aurevoirs à Maggie à distance et malgré la contrariété qui devait-être la sienne au regard de la situation, il laissa apparaitre une certaine émotion. Ensuite, ils avaient dîné tous les six dans la cuisine, toujours accompagnés des playlists musicales d'Enora. La musique était indispensable à son bien-être et elle savait d'expérience que les enfants y étaient également très sensibles. Cela permis d'alléger l'atmosphère alourdie par le chagrin de la séparation prévue le lendemain. Plus tard, les trois petits eurent le droit de regarder un dessin animé dans le salon, sous la surveillance de Maggie. Enora profita de ce moment d'accalmie pour avoir une conversation avec Léo. Malheureusement, ce dernier restait toujours aussi fermé, répondant par l'affirmative à tout ce qu'elle disait, comme un robot. Elle souhaitait lui faire comprendre que même si cette situation était temporaire en attendant le retour de Ludovic, il fallait se réjouir de cette opportunité qui leur était offerte. Néanmoins, l'adolescent restait de marbre. Puis elle essaya de nouveau de l'interroger sur son séjour chez sa mère biologique, et comme à chaque fois, il éluda la question, restant dans le vague. Enora ne voulait pas le brusquer et préférait lui laisser le temps de digérer ce qui était vraisemblablement une énorme déception pour lui. Elle aurait tellement voulu pouvoir l'aider, en le faisait s'exprimer ou en le serrant fort dans ses bras, comme quand il était petit. Mais ce temps-là était révolu et elle se sentait désormais impuissante à le soulager de ses souffrances. Après cette longue journée, tous furent couchés de bonne heure. Ethan et Chloé acceptèrent très bien que ce soit Enora qui les mettent au lit et furent ravis quand elle leur proposa une chanson de bonne nuit. Quelques minutes plus tard, après avoir salué Maggie et embrassé Léo dans sa chambre, Enora se coucha, Luna pelotonnée contre elle dans ce grand lit inconnu. Elle mit du temps à trouver le sommeil. Trop de choses à assimiler.

Deux jours plus tôt, elle vivait chez ses parents et cherchait désespérément un travail. Ce soir, elle se couchait dans une grande maison qui n'était pas à elle, ayant en charge des enfants qui la connaissaient à peine, partageant son lit avec sa petite fille. Insidieusement, sans doute à cause de la fatigue accumulée, un sentiment de solitude s'empara d'elle, dans le silence et la nuit. Enora était fière des décisions qu'elle avait prises, satisfaite d'avoir su rebondir face à ces circonstances improbables. Mais elle se sentait aussi désemparée, tel un fétu de paille prit dans une tempête, avec rien à quoi se raccrocher. Elle voulait être forte pour l'équilibre des enfants et pour rassurer ses parents mais au fond, elle ressentait l'abandon de Ludovic très fort. Une larme roula sur sa joue, suivi d'une autre. Le plus silencieusement possible, Enora libéra son chagrin par des pleurs inaudibles, seule face au poids de devoir gérer quatre enfants innocents qui dépendaient totalement d'elle. Même à vingt-sept ans, il était difficile de porter cette charge seule. Mais pour les enfants, elle mettrait de côté sa déception, sa tristesse, son amertume et son sentiment de solitude. Chaque jour serait un nouveau défi. Elle devrait les relever au quotidien. Elle n'avait pas le choix.

Le réveil sonna à huit heures. Un peu désorientée, Enora se frotta les yeux et prenant acte que sa fille dormait à poings fermés à ses côtés, elle éteignit aussi sec la radio. Maggie lui avait dit que les jumeaux se levaient aux alentours de huit heures trente, aussi voulait-elle être prête dès leur réveil afin qu'ils ne se sentent pas perdus s'il n'y avait personne pour s'occuper d'eux. Sans faire de bruit, elle sortit du lit et enfila une robe de chambre en éponge. Elle laissa la porte entre-ouverte pour s'assurer d'entendre Luna dès qu'elle se réveillerait. Une oreille contre la porte de la chambre de Léo lui confirma que l'adolescent dormait toujours. Doucement, elle descendit au premier étage et jeta un coup d'œil dans l'entrebâillement des chambres des jumeaux. Ils dormaient également. Parfait. Enora allait en profiter pour leur préparer un bon petit déjeuner et surtout, pour savourer quelques instants de calme avec une bonne tasse de café. Le sentiment de solitude persistait mais elle l'ignora et décida d'aborder cette nouvelle journée avec confiance. Les filles Miller étaient d'indécrottables optimistes et ce n'était pas près de changer. Au rez-de-chaussée, elle ouvrit les volets et le soleil de cette mi-septembre envahit les différentes pièces. Il y avait quelque chose d'étrange à prendre possession d'une maison qui n'était pas la sienne, entre la gêne et l'excitation. Pendant que le café coulait, elle s'installa à la petite console, comme elle l'avait fait plusieurs fois avec Maggie. Le jardin était bien entretenu et la vue agréable, apaisante. Tout en dégustant sa boisson chaude, la jeune femme savoura le calme de la maison, le bonheur de savoir ses petits dormir à l'étage paisiblement, le plaisir de découvrir un endroit nouveau, comme en vacances. Mais cette illusion ne dura qu'un instant car il s'agissait surtout de son nouvel emploi. Elle entendit des petits bruits étouffés au-dessus de sa tête, signes que les enfants étaient réveillés. En rejoignant le premier palier, Enora retrouva Chloé qui sortait de sa chambre.

– Bonjour, ma grande, la salua la nounou.

Spontanément, elle serra la petite contre son cœur et lui fit un gros bisou, qui lui fut rendu avec tendresse. Le frère sortit à ce moment-là de sa chambre et il eut le droit au même traitement. Bon, c'était vrai, Enora voulait instaurer une barrière professionnelle mais ils restaient des enfants. Comment ne pas se laisser aller à être démonstratif quand ils vivaient déjà comme une famille ? Les paroles de Maggie lui revenaient en tête et la jeune femme se demanda soudain si elle arriverait à l'avenir à bien mettre ses distances. Luna, qui ne voulait pas être en reste, était descendu également et tous les quatre s'installèrent dans la cuisine. « One kiss » de Calvin Harris en fond sonore, Enora servit des jus d'orange aux enfants avant de se lancer dans la confection de pancakes. Les placards étaient presque vides et il lui faudrait faire des courses dès le lendemain. Heureusement, il y avait des œufs, de la farine, du sucre et du lait, de quoi nourrir des enfants au petit déjeuner. Elle prit le temps de préparer une salade de fruits frais en accompagnement et le petit déjeuner fut une réussite. Maggie descendit les rejoindre, déjà habillée et prête à s'en aller. Elle but rapidement un thé et grignota un pancake, avant d'appeler la compagnie de taxi. L'heure était arrivée et les jumeaux laissèrent éclater leur chagrin. Les adieux à leur nounou furent émouvants et la petite Chloé se réfugia dans les bras d'Enora pour trouver du réconfort. Maggie avait aussi les larmes aux yeux et préféra ne pas faire durer les aurevoirs. Son taxi arriva rapidement et la passation de flambeau se fit sur le seuil de la maison. Voilà, c'était fait. Enora était officiellement la nounou des jumeaux

Tandis que Léo dormait toujours, Enora habilla les enfants et ils sortirent jouer dans le jardin, profitant des derniers beaux jours de cette fin d'été. Plus tard, ils déjeunèrent dans la cuisine des restes de poulet au curry. À cette occasion, Enora apprit par les jumeaux qu'ils mangeaient habituellement seuls dans la salle à manger pendant que Maggie les servait. Surprise, Enora se demanda pourquoi Maggie ne lui en avait pas fait part avant son départ. Mais aussitôt, elle fut rassurée quand les enfants lui avouèrent qu'ils préféraient de loin partager leur repas avec elle et ses enfants, trouvant cela plus convivial que d'être tous les deux dans le vaste séjour. Dans l'après-midi, Enora proposa un jeu de société aux trois plus jeunes, Léo s'étant isolé pour faire ses devoirs. Le dimanche se déroula tranquillement. Ils faisaient connaissance, s'apprivoisant petit à petit. Après les bains, ils eurent le droit de regarder la télévision. Enora, installée en tailleur devant la table du salon, faisait des listes et des plannings afin de préparer au mieux sa première semaine. Il fallait qu'elle jongle entre les horaires des quatre enfants. Cela aurait été plus simple si Luna avait fréquenté dans la même école que les jumeaux, malheureusement, ce n'était pas le cas. Il faudrait l'inscrire à l'accueil périscolaire le matin. Léo était autonome avec le bus, c'était déjà ça de gagné. Son organisation ne laissait que peu de place à l'improvisation mais ça serait gérable. Satisfaite, Enora s'occupa de préparer le dîner. Les placards et le frigo étaient lamentablement vides, aussi fit-elle de son mieux avec ce qu'elle avait sous la main. Crudités et sandwichs au pain de mie et jambon. Les enfants étaient installés tous les quatre sur les tabourets de bar. Léo avait daigné sortir de sa chambre pour les honorer de sa présence au dîner. Toujours l'air boudeur, il snobait les trois autres, qui riaient à table en grignotant des bâtonnets de carottes. Enora avait servi un assortiment de crudités et mettait la touche finale à ses sandwichs sur le rythme de « Galway girl » d'Ed Sheeran quand elle entendit dans son dos :

— Papa ! Papa !

Monsieur Laferrière était rentré chez lui.

Note de l'auteur : 

Les chapitres ont été retirés pour cause de publication chez Harper Collins le 12/11/2020 dans la collection HQN. Merci


It's time for Love Tome 3Where stories live. Discover now