Café et chapeau brun

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Lieu imposé; café Objet imposé; chapeau

Le vieil homme était là depuis les premières lueurs du jour, et il était à présent attablé devant son éternel tasse de café noir et amer, auquel il ne touchait pourtant jamais. Un porte-plume suspendu à quelques centimètres de son papier à lettre, il fixait un vieux chapeau brun, accroché à un porte-manteau ouvragé, indifférent au ballet de la foule pressée.

Toute la journée durant, son regard restait fixé sur le vêtement usé jusqu'à la corde, comme si il espérait que quelque chose se produise. Pourtant, le couvre-chef restait obstinément banal et immobile, jusqu'à un matin. Lorsque le vieil homme s'assit devant sa tasse fumante de café, il se figea en constatant que le porte-manteau était vide. Il parcourut la salle d'un regard neuf, la regardant vraiment pour la première fois, et ses yeux finirent par s'arrêter sur la silhouette d'une femme, sirotant son thé avec lenteur, coiffée du chapeau brun. C'était la première fois que le vieil homme voyait quelqu'un de si calme dans le café. Il croisa le regard hypnotisant de la femme, et il sut qu'il allait devoir la suivre. Alors, avec des gestes mesurés, il but son café d'une traite, et abaissa son stylo sur le papier à lettre, qu'il couvrit de son écriture tremblante, puis se leva, et rejoignit la femme, qui l'attendait près de la porte, le visage d'une neutralité impassible.

Il lui signifia d'un signe de tête qu'il était fin prêt, puis la suivit au dehors, comme un petit enfant suivant sa mère. Alors que la brume du dehors les engloutissait tout deux, la porte claqua bruyamment, faisant choir le papier à lettre sur le sol carrelé avec la lenteur d'une feuille automnal.

"Mon cher fils,

Je dois partir. J'ai attendu bien longtemps, mais je ne puis revenir à tes côtés. Cet état d'entre-deux m'est insupportable, aussi, ne soit pas triste. Je suis bien heureux qu'elle soit venue me sauver de cette antichambre infernale. Quand tu liras cette lettre, je serai déjà dans son royaume, mais sache que même là-bas, je continuerai à t'aimer. N'aies pas peur, je serai bien, là-bas. Je vais enfin retrouver ta mère.

Embrasse la petite Marie pour moi, veux-tu ?

Ton papa qui t'aime pour l'éternité."

Dans un décor aseptisée, un jeune homme pleurait, recouvrant de larmes la lettre, comme autant de gouttes de pluie, tout en serrant la main désormais glacée de son père.

Décidément, l'automne était précoce, cette année.

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