Sans lui

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C'est une épreuve d'ouvrir mes paupières ce matin-là. À peine émergée, je panique intérieurement.

Non. Non non non. C'est pas possible, dites-moi que c'était un rêve.

Malheureusement pour moi, l'état de ma tête, mes courbatures et mon début de mal de gorge dû la tenue légère dans laquelle je me suis trimballée toute la nuit m'indiquent clairement que tout ce qui est en train de me revenir est bien arrivé. La nuit a été extrêmement longue mais je ne m'en souviens que trop bien.
J'ai toujours les yeux clos mais mon visage se durcit sous les remords qui m'accablent au fur et à mesure.
Je l'ai giflé, j'ai voulu l'empêcher de me suivre, je lui ai hurlé dessus, je l'ai frappé, j'ai commencé à tenter de lui balancer des objets, je n'ai pas voulu entendre ses excuses puis je l'ai jeté dehors en lui disant que je ne voulais plus le revoir.
Je n'ai même pas l'impression que j'étais moi-même. J'étais dans une sorte de transe, je n'en sais rien, une sorte de spirale de folie pure. Je m'en rends compte maintenant. J'ai honte, surtout que quelque part, ça m'a malgré tout fait un certain bien. J'ai lâché tout ce que j'avais sur le cœur.

Tu l'as quitté, me dit soudain ma petite voix.

Je me relève du lit d'un seul coup, le nœud au ventre, comme si je venais vraiment d'en prendre conscience.

- Qu'est-ce que j'ai fait, je me murmure à moi-même.

Je fais les cents pas dans ma petite chambre sans cesser de repenser à ce que j'ai pu lui crier. Je sens mon angoisse qui commence à grimper. Ni une ni deux, je me dirige jusqu'au salon et me plante devant la porte. J'ai peur. Et s'il est encore là ? Je colle mon oreille contre la surface froide pour essayer de déceler le moindre bruit mais il n'y a rien. Je me mets sur la pointe des pieds, jette un coup d'œil à travers l'œil magique. Il n'y a plus personne sur le palier. Il a dû partir, il savait que mes parents allaient revenir vite.
Je ramasse mon téléphone que j'aperçois sur le sol. J'ai une quinzaine d'appels manqués et de messages. Ils sont tous d'une seule et même personne.
Les quelques mots que je peux lire m'enfoncent encore plus.

« Orel : Ariane ouvre
Orel : Pardon j'te jure je t'aime 
Orel : Fais pas de conneries stp
Orel : Laisse-moi tout changer j'ai compris la leçon »

« Je t'aime ». Il ne m'a encore jamais dit ça, et je pensais qu'il ne le ferait jamais. Je ne pensais pas non plus qu'il serait capable de se montrer aussi... suppliant, et d'être en position de faiblesse comme ça.
Je le verrouille et me laisse tomber dans le canapé en prenant ma tête entre mes mains.
Je repense à sa panique quand je l'ai jeté dehors. Je me mets à pleurer.

- Merde, mais merde ! je lâche en serrant les poings et les dents.

Je suis à deux doigts de le rappeler pour m'excuser, pour tout lui pardonner, autrement dit je suis à deux doigts de craquer. Mais je ne dois pas. C'est incroyable ce qu'il m'a dit et écrit, d'accord, mais jusqu'où est-il prêt à aller pour obtenir ce qu'il veut aussi ? Je ne connais pas tous ses vices et ça il ne faut pas l'oublier. Il faut que j'arrête de tomber si vite dans le panneau.
Je me force à me dire qu'il sera mieux sans moi, que je serai mieux sans lui. Si j'ai lâché tout ça sous l'effet de l'alcool et sans rien contrôler, c'était sûrement parce que c'était sincère, non ? En étant sobre, je me mens à moi-même en me disant que je suis bien avec lui.
Oui, c'est ça. Je me voile la face parce que je suis irrésistiblement éprise de lui et que je n'ai pas envie de voir la vérité. Sauf que la vérité, elle est bien là : nous ne sommes pas faits pour être ensemble. Ni lui avec moi, ni moi avec lui. Ça ne colle pas.

Nous n'étions pas heureux ensemble, nous n'étions pas heureux ensemble, je me répète pour m'en convaincre.

Mon cerveau, comme pour me tester, me fait revoir une image de nous deux en train de rire comme des abrutis dehors en pleine nuit, après qu'Orel ait sorti une réflexion pire que débile que je n'avais même pas comprise dès les premières secondes.
Un début de sourire se forme tout seul sur mes lèvres mais je serre encore les dents et marche à travers l'appart.

Sous InfluenceWhere stories live. Discover now