Chapitre 16

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Après la soirée au bar, Emma n'eut à subir aucune fine allusion de ses collègues techniciens à sa danse torride avec Regina ou à leur sortie précipitée, preuve qu'à part Elsa, personne n'avait jugé l'incident mémorable. Elle en fut à la fois soulagée et attristée. Regina au naturel était sérieusement adorable l'autre soir, presque encore davantage ce matin avec son air mi-vexé mi-perplexe, et il lui en avait vraiment coûté de la repousser. Quelle importance au fond si son désir soudain était le fruit d'un caprice ? Emma avait refusé ses avances au nom du respect qu'elle se devait à elle-même, et sans doute était-ce là une sage décision, mais en attendant...

J'ai repoussé Regina Mills, songea-t-elle avec accablement tout en réglant son appareil photo. Est-ce que ça aurait été si terrible d'être son jouet ?

Un concert d'invectives vint interrompre le cours morose de ses pensées.

― Face de lune !

― Bellâtre !

― Fille à papa !

― Arriviste !

Sans surprise, David et Mary Margaret firent une entrée tumultueuse sur le plateau et prirent leurs marques, encore haletants d'indignation. Les techniciens dégagèrent le plateau, le clap retentit, et les deux acteurs mirent à profit leurs regards enflammés et leurs joues enfiévrées par leur dispute pour simuler la passion amoureuse. Emma dut reconnaître qu'ils avaient l'art de tirer parti de leur antipathie mutuelle pour la sublimer dans leurs scènes communes. Face caméra, ils formaient un couple tout à fait convaincant.

Sitôt la scène terminée, ils se dirigèrent chacun d'un côté opposé du plateau en marmonnant par-dessus leur épaule :

― Cabotin !

― Mégère !

Emma aperçut Regina, qui partageait la prochaine scène avec eux, en lisière du plateau. D'habitude divertie à la vue de ses partenaires en train de se voler dans les plumes, elle restait aujourd'hui de marbre, l'air pensif. Elle parcourut des yeux les abords du plateau, semblant y chercher quelque chose, et son regard s'arrêta sur Emma. Elle l'observa un instant, calme et sérieuse, puis lui adressa un petit signe de tête avant d'aller retrouver le réalisateur.

Au moins elle n'a pas l'air trop en colère, se dit Emma, vaguement soulagée. Si elle avait réussi à se mettre Regina Mills à dos, ses jours ici étaient comptés.

Emma sentit plus d'une fois le regard de Regina posé sur elle ce jour-là, une curieuse inversion des rôles puisque c'était elle en principe qui passait son temps à observer les acteurs, l'œil derrière son appareil pour les immortaliser à l'œuvre. C'est pourquoi elle ne fut guère étonnée lorsque le soir venu, alors que les studios n'étaient plus peuplés que de quelques techniciens et décorateurs encore affairés à préparer les décors du lendemain, Regina pénétra dans son studio photo.

Emma, qui bricolait ses derniers clichés, s'interrompit. Regina avait ôté son costume et son maquillage de méchante reine. Elle était vêtue d'un jean, d'un t-shirt, de bottines, et d'une veste en cuir joliment coupée. Seul vestige de sa journée de travail, ses cheveux encore lissés lui balayaient les épaules en nappe soyeuse et brillante. Elle vint se planter en face d'Emma et les rejeta en arrière.

― Mademoiselle Swan, fit-elle d'un ton pensif, peut-être me laisserez-vous cette fois une chance de m'expliquer. Tout d'abord, je me suis conduite en hussarde vendredi soir, veuillez m'en excuser. Cela ne se reproduira pas. J'ai présumé de vos désirs à cause...

Elle s'interrompit, se cala contre le bureau, et d'un geste lent, doux et délibéré, effleura le dos de la main d'Emma, puis remonta le long de son avant-bras découvert, déclenchant une vague de chair de poule sur son passage. Emma ne put retenir le frémissement qui la parcourut à son contact et ferma les yeux un bref instant. Lorsqu'elle les rouvrit, ceux de Regina l'observaient avec attention.

― A cause de cette alchimie qui semble exister entre nous, acheva Regina. Ne me dites pas que vous ne l'avez pas sentie vous aussi. Je pense qu'elle dépasse votre intérêt professionnel. Je me trompe ?

Presque malgré elle, Emma fit imperceptiblement non de la tête.

― Bien, dit Regina avec un sourire tout aussi ténu. Il est vrai que j'admire votre travail, mademoiselle Swan, mais sachez que ce n'est pas la seule raison de mon attirance pour vous.

― Votre attirance pour moi ? répéta Emma d'une voix étranglée.

Regina soupira, se pencha légèrement vers Emma et lui effleura le visage du bout des doigts. Sa main s'arrêta à un point précis sur sa joue gauche.

― Le jour de notre première séance photo, dit-elle, j'ai remarqué cette fossette que vous avez ici quand vous souriez vraiment. Et aussi ces charmantes taches de rousseur sur votre nez. Et la couleur étonnante de vos yeux. Tout à fait impossible à déterminer. Ils virent au gris en ce moment, comme toujours quand vous êtes troublée, mais d'autres fois...

Elle retira sa main et Emma se sentit orpheline de la chaleur de sa peau, qui s'était propagée à tout son corps, l'électrisant sournoisement jusqu'au bout des doigts. Regina l'avait donc vraiment remarquée elle, et non pas juste ses photos ?

L'actrice la considéra un instant avant d'ajouter avec un petit sourire en coin :

― J'ai remarqué d'autres choses, mais je pense qu'il ne serait pas correct de les mentionner pour l'instant. Je vous ai promis de ne plus me conduire en hussarde.

Tandis qu'Emma rougissait de l'insinuation, Regina reprit :

― Je n'ai que faire d'un nouveau jouet, Emma. J'avais déjà Graham pour cet usage. Il me donnait toute satisfaction et la situation nous convenait parfaitement à tous les deux. Il a eu exactement ce qu'il était venu chercher, sachez-le. Ni plus ni moins.

― Vous aviez ? releva Emma, dont le cœur venait de bondir dans sa poitrine en entendant Regina passer à l'usage de son prénom.

Regina haussa un sourcil.

― Eh bien, quelqu'un d'autre a retenu mon attention. Je ne suis pas multitâches, je ne me consacre bien qu'à une seule chose à la fois.

Emma sentit le bloc de ses objections commencer à fondre sérieusement face aux implications de ce que venait de dire Regina.

― Bon, sourit Regina en la dévorant des yeux sans faire un geste pour la toucher, je pense avoir fait valoir mon point de vue. Je ne veux pas vous imposer mes quatre volontés, alors à vous de me dire ce que vous proposez. Vous faut-il du temps pour y réfléchir, ou allez-vous encore juste vous enfuir ?

Emma hésitait à en croire ses oreilles. Regina s'était-elle vraiment prise d'intérêt pour elle, ou détestait-elle simplement ne pas obtenir ce qu'elle voulait ? Mais après tout, elle y avait mis les formes cette fois, et puisqu'elle insistait, il serait toujours temps de voir où cela les mènerait.

Elle eut soudain une idée.

― Qu'est-ce que vous faites dimanche ? demanda-t-elle avec un petit sourire.

― J'apprends mes dialogues et ensuite je fais du sport, pourquoi ?

― Rendez-vous à huit heures et demie devant l'orque en pixels sur le front de mer de Vancouver ?

― Pour aller où ? demanda Regina, intriguée.

― Faire un tour, sourit Emma. Vous êtes partante ?

Elle put voir dans les yeux de Regina une lueur d'indécision. L'actrice n'aimait pas les surprises. Mais elle lui avait laissé l'initiative, et se décida soudain.

― Entendu. Dimanche, 8h30.

Elle se leva, et avant de partir, enveloppa Emma d'un regard si brûlant que celle-ci se prit à regretter de l'avoir incitée à faire preuve de davantage de retenue.

Le fruit défenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant