Chapitre 4 : Chambres 11 et 24

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Shinjuku

— Je crois qu'on n'est plus très loin.
— Ouf, soupire Ophélia.
— Désolé, c'est de ma faute si on s'est trompé de sens pour le métro. J'ai mal compris le panneau.
— Ce n'est pas grave ! Le principal, c'est qu'on arrive.
Gabriel semble dubitatif, mais ne dit rien et presse le pas, sa valise allant cahin-caha derrière lui. Il tire également la valise de cabine d'Ophélia, déjà bien occupée avec ses autres bagages.

Les deux jeunes gens ont un moment d'hésitation lorsqu'ils se présentent devant le perron de leur résidence, dont ils aperçoivent le hall à travers les portes vitrées de l'entrée.
— Bon... Allez, autant y aller.
— J'espère que j'ai bien pensé à prendre tout ce qu'il faut.
— J'imagine qu'il va te demander ta carte d'identité, le contrat, et qu'il va vérifier tout ça ? Ne t'inquiète pas : je suis sûr qu'il ne va pas te jeter à la rue.
Gabriel a un petit sourire qui se veut rassurant et monte les marches le premier. Il laisse sa valise devant l'entrée, puis redescend pour aider à Ophélia à monter ses bagages.

Ils poussent enfin la porte. La climatisation les fait frissonner après leur marche dans la chaleur matinale. Ils se dirigent d'un pas indécis vers l'accueil, où les attend un homme d'âge moyen qui lit paresseusement un journal. Il arbore une petite plaquette avec son nom, écrit en anglais et en japonais, sur sa chemise : Oda.

— Euh, hum... bonjour ?
Gabriel n'a pas osé se lancer en japonais, stupidement, et a préféré se raccrocher à l'anglais.
— Nous venons d'arriver pour prendre nos chambres, et...
— Ah, oui ! Bonjour.
Monsieur Oda repose son journal et ajuste ses lunettes pour examiner les documents que lui tendent Ophélia et Gabriel.

— Bien, bien. Vous logez tous les deux dans le premier bâtiment à droite quand vous sortez dans la cour. La porte pour y accéder est là-bas, et vous suivez les affichettes avec des flèches et les mentions « Aki*  ». Chaque bâtiment porte un nom de saison.
Il dirige ensuite son attention sur Ophélia.
— Vous préférez en anglais ou en japonais ?
— En japonais, s'il vous plaît.
Ophélia maîtrise en effet mieux cette langue que l'anglais. Et puis, elle est ici pour la pratiquer.

Monsieur Oda sourit et lui tend une clé.
— Chambre 24.
Il lance enfin à Gabriel :
— Et donc, pour vous, chambre 11, premier étage.
— Merci beaucoup.
— Vous pouvez aller déposer vos affaires. Si besoin, je peux ensuite vous faire un peu visiter les lieux. Pour l'accès aux chambres, c'est l'escalier au bout du couloir d'entrée du bâtiment.

Gabriel hoche mécaniquement la tête, s'empare des poignées de deux valises, alors qu'Ophélia fait de même après avoir remercié monsieur Oda. Ils trouvent sans peine le petit bâtiment grâce au fléchage, derrière une rangée de gingkos qui divisent la cour en croix. Dans le hall silencieux, Gabriel marque une pause.
— Bon, à mon avis, il va falloir faire deux voyages. On peut commencer par tes bagages, si tu veux.
— Tu vas laisser ta valise là ?
— Bah, je ne crois pas que ça risque quelque chose. Il paraît que le Japon est très sûr à ce niveau.

Ils s'engagent dans l'escalier un peu étroit, montant les marches une à une avec difficulté.
— J'espère que ta chambre sera assez grande pour stocker tout ça, fait remarquer Gabriel, pince-sans-rire.
Ophélia se contente de sourire pour masquer sa gêne.

Arrivés au deuxième étage, la jeune fille se dirige vers une porte, qu'elle ouvre avec un embryon de stress niché au creux de l'estomac. Elle découvre enfin son nouveau chez elle, berceau d'une nouvelle existence et d'une nouvelle aventure. La pièce n'est pas plus grande que sa chambre à Vincennes ; elle est encore un peu vide et manque de chaleur et de vie, mais Ophélia ne peut s'empêcher d'être soulagée et heureuse. 

Elle traîne l'une de ses valises à l'intérieur, puis s'approche de la grande porte-fenêtre dont elle tire les rideaux pour découvrir le petit balcon qui surplombe un jardin.
— C'est super mignon !
— C'est grand.
Gabriel, qui a vécu dans une chambre de cité U de 9m² pendant trois ans, ne peut contenir son admiration.
— Ça va ! Tu peux rentrer, tu sais !
— Ah, oui, pardon. Ton autre valise.
Le jeune homme pénère dans la pièce, tandis qu'Ophélia ouvre la porte-fenêtre.
— C'est vraiment super.

Elle se sent rassurée, elle qui appréhendait un peu de découvrir le dortoir. Désormais, elle parvient à se projeter dans cet endroit, à s'y voir évoluer et se sentir bien. L'euphorie de la découverte trouble sans doute encore un peu son jugement, et elle garde au fond de sa tête que la nouveauté risque de de dissiper pour laisser place à la réalité, mais pour l'instant, elle souhaite simplement en profiter.

Tokyo by nightWhere stories live. Discover now