Chapitre 7 : Premiers pas

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Shinjuku, dernière semaine de septembre

— Tu as encore mal dormi, constate Ophélia lorsque Gabriel la rejoint un matin dans la salle à manger.
— On ne peut rien te cacher, murmure-t-il d'un ton morose en passant une main dans ses cheveux.
La jeune fille lui tend sa boîte de céréales alors qu'il s'attable auprès d'elle. D'ordinaire, il hésite, voire refuse : il sait le prix qu'Ophélia paie au Japon le petit-déjeuner auquel elle était habituée chez elle. Pourtant, aujourd'hui, las et de mauvaise humeur, il accepte sans se faire prier.

— Ottavio exagère. Il skype sa famille ou ses amis en Italie à deux heures du matin, et il ne parle pas tout bas, comme tu peux l'imaginer.
— Tu as essayé de lui dire ?
— Je n'ose pas trop, avoue Gabriel.
Il verse du lait dans son bol, puis fait couler les flocons au chocolat sous la surface avec sa cuillère.
— Mais je ne supporte pas le bruit. Ça me tape sur les nerfs, et comme je suis énervé, même quand il a terminé, je ne parviens pas à m'endormir...
— Tu devrais peut-être en parler à Adam ? Il irait sûrement voir Ottavio pour lui demander. Ou Becky ? Elle n'aurait pas peur de lui faire une remarque.
Gabriel se mord la lèvre avant de soupirer.
— Je ne veux pas créer de problème dans le dortoir.

Au fil des jours et des arrivées, l'immeuble s'est peuplé. Toutes les chambres sont à présent occupées. De celle à gauche de Gabriel où Ottavio fait du bruit tard la nuit, à celle à droite d'Ophélia dans laquelle une Néerlandaise pleure régulièrement de mal du pays, tous les locataires ont pris possession de leurs quartiers. La résidence adopte petit à petit sa vitesse de croisière, et chacun trouve son rythme — au détriment de celui des autres, parfois.

Selon les affinités, de petits groupes se sont formés. Ainsi Hathai, étudiante en dentisterie de Bangkok, et Metin, doctorant en littérature japonaise de Francfort, passent-ils déjà tous leur temps ensemble. Le « groupe de la plage », comme Blanche les appelle, continue ses découvertes de Tokyo et de la vie japonaise ensemble, Gorka un peu en périphérie de ses camarades.

— Le problème, c'est que si personne ne lui dit jamais rien, il n'arrêtera pas ? Et d'abord, peut-être qu'il ne sait pas que tu l'entends aussi fort ?
— Peut-être... Mais bon. Tu oserais, toi ?
Ophélia n'a guère besoin de réfléchir à la question pour savoir que la propension à la confrontation n'est pas non plus dans sa nature. Elle avale sa bouchée de céréales, puis secoue la tête.
— J'aurais peur qu'il le prenne mal...
Gabriel arbore un air défait.
— Tu vois.

— Hello, les amis !
De retour de son footing matinal, Adam salue les Français de son timbre chaleureux.
— Coucou, Adam, répond Ophélia en lui rendant son sourire.
Lorsqu'il apparaît, c'est toujours un peu comme si plus de rayons de soleil pénétraient dans la pièce.
— Le temps commence à se rafraîchir, poursuit l'Américain. Becky sera soulagée : il fait juste chaud, maintenant, plus étouffant comme tous les jours d'avant !
Il ouvre le frigo et se saisit d'une petite bouteille de thé glacé.
— Je serai content qu'il fasse moins chaud aussi, appuie Gabriel d'une voix morne. J'ai le nez bouché à cause de la clim' et de la différence de température entre dehors et dedans.
— Tu n'as pas l'air de bonne humeur, ce matin. Tout va bien ?
Avant de répondre à Adam, le Français jette un coup d'œil rapide à Ophélia. Il se force tout de même à sourire pour rassurer l'Américain, qu'il n'a pas envie de mêler à une querelle potentielle avec Ottavio.
— Oui, oui.

— Super, alors ! Au fait, vous avez aussi une réunion dans votre faculté avant le dîner de ce soir avec tous les étudiants internationaux ?
— Oui, on doit y être à quatre heures pour un accueil et des séances d'information.
— J'espère qu'on aura des détails sur les cours pour pouvoir faire un choix, ajoute Ophélia. Il y a un tel catalogue que c'est compliqué de décider ce qu'on va prendre. Il y a trop de possibilités !
— Blanche va avec vous ?
— Oui, comme elle fait aussi des études de japonais. J'imagine que Becky et toi, vous serez ensemble ?
— Je crois que la session d'information est commune à tous les départements de science ? Je ne sais pas trop. J'espère, parce qu'elle parle un peu mieux japonais que moi, donc elle pourra m'aider à m'y retrouver dans les bâtiments !

Il replace une mèche de cheveux derrière son oreille et rit :
— Si vous ne me voyez pas débarquer au dîner, ne me laissez pas errer toute la nuit sur le campus et venez me chercher !
La tête en arrière, il vide finalement les dernières gouttes de son verre de thé avant de reposer celui-ci sur la table et de repousser sa chaise.
— Bon, je vais prendre une douche. À tout à l'heure !

Tokyo by nightWhere stories live. Discover now