Chapitre 13 : Ouverture

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Shinjuku, troisième semaine d'octobre

Gabriel se sent un peu moins oppressé alors qu'il approche de la salle de classe où doit se tenir son cours de littérature. Il connait le lieu, l'un des visages lui est familier — à défaut de lui être amical — et si la professeure et la difficulté de son cours lui font toujours peur, il tente cependant de relativiser en gardant dans un coin de sa tête les conseils de Martin.

Le jeune homme arrive avec vingt minutes d'avance. Un seul autre élève est présent, une jeune Coréenne qui le salue de la tête sans même lever les yeux vers lui. Gabriel s'inquiète un peu, mais s'installe malgré tout, et tente de relire les notes qu'Alekseï a fini par lui envoyer — dans un courriel sans objet ni contenu. 

Il perçoit soudain un mouvement d'air près de lui et jette un regard curieux sur le côté ; aussitôt, il se fend d'un sourire.
— Oh, salut !
Alekseï s'installe sans répondre. Deux autres étudiants sont arrivés avant lui, mais ils restent malgré tout en petit comité.

— On dirait bien que certains ont déjà abandonné, remarque le Russe avec dédain.
— C'est vrai, mais je ne vais pas les blâmer : ce cours n'est pas évident.
Gabriel se mord la lèvre nerveusement. Potemkine a retrouvé sa place sur le portable de son camarade et roule légèrement sur la table alors qu'Alekseï pose son téléphone près de son ordinateur.
— Merci pour tes notes, au fait !
— Hmm.

Gabriel ravale son soupir découragé et poursuit :
— Cette fois, on mange ensemble ? Je dois aller à la bibliothèque après, et je n'ai pas très envie de rester seul à midi.
Bon, ce n'était peut-être pas la chose à dire. Il va penser que je le prends pour un bouche-trou
.
Alekseï le dévisage, les sourcils froncés, son éternelle petite moue accrochée à la bouche.
— Je n'ai pas grand-chose de mieux à faire, alors d'accord.
— Super !
Gabriel passe sur l'insulte lâchée en demi-teinte et s'impatiente déjà.

Depuis qu'il est arrivé au Japon, il n'a pas rencontré grand-monde par lui-même et est resté dépendant des aléas des affectations — au dortoir comme en cours. Chacune de ses amitiés est une relation de circonstance, et s'il apprécie énormément ses colocataires ou Hajime — Kenta étant un autre problème —, il ne leur aurait jamais parlé sans un petit coup de pouce du destin. Avec Alekseï, il n'a sans doute pas choisi la facilité ; le Norvégien est une énigme glaciale contre laquelle sa bonne volonté ne cesse de se heurter, mais pour l'instant, Gabriel s'y accroche, désireux de faire un effort.

Lorsqu'ils sortent tous les deux de la salle, Gabriel s'assure de rester à hauteur d'Alekseï, par crainte, peut-être, que le jeune homme ait changé d'avis. Pourtant, son camarade paraît marquer le pas.
— Où tu veux aller manger ? Il y a un fastfood pas loin, si tu veux, et...
La réponse ne se fait pas attendre.
— Non. Si tu n'as que ça à proposer, autant que j'aille manger chez moi.
Gabriel arque les sourcils.
— Désolé, je... hum... on peut aller où tu veux, sinon.
— Pour ma part, j'avais préparé mon repas ce matin. Si tu as fait pareil, on peut aller manger dans un coin du campus.
Le ton de la proposition reste froid, mais Gabriel sourit malgré tout.
— Je vais aller chercher un truc à la cafet', alors.
Alekseï soupire, mais le suit, traversant avec lui le couloir pour se diriger vers les escaliers.

L'œil de Gabriel accroche soudain une petite affichette, et le jeune homme plisse les yeux. Alekseï a suivi le regard de Gabriel sur un poster aux couleurs de l'arc-en-ciel collé au mur.
— Tu comptes t'inscrire au club LGBT de la fac ?
Le Français rougit aussitôt et secoue les mains, comme pour se défendre :
— Non, non, pas du tout.
— Personnellement, j'ai songé pendant un petit moment, puis je me suis dit que je n'aurais pas la foi d'y aller régulièrement.
— Ah... Huh ?

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