Interlude -- Blanche (1)

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La Nouvelle Orléans -- Septembre, cinq ans auparavant

Joshua frappe à la porte de la chambre, puis l'ouvre sans attendre de réponse. Après tout, Blanche l'a invité. Il ne la connaît pas depuis longtemps, puisqu'elle est arrivée à La Nouvelle Orléans il y a un mois seulement, mais il a déjà compris qu'elle ne se formalisait pas de ce genre de chose — et qu'elle le lui dirait platement, le cas échéant.

La jeune fille est assise à son bureau, sur une chaise suédoise, et elle lui tourne le dos. Son casque, perdu au milieu des boucles, est vissé sur ses oreilles : elle ne l'a pas entendu arriver.

Elle porte un débardeur à dos nageur, comme souvent, qui dévoile la constellation de points de beauté sous son omoplate, et Joshua a envie d'y poser la bouche. Il s'approche, un sourire aux lèvres.
— Blanche ?
Cette fois, la jeune fille sursaute. Par-dessus son épaule, elle tourne vers lui un visage baigné de larmes.

Aussitôt, Joshua s'alarme. Il se précipite à genoux devant elle et lève une main vers la joue ruisselante.
— Blanche, qu'est-ce qui se passe ?
Devant son air inquiet, l'étudiante ôte son casque, surprise.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Mais c'est à moi de te demander ça. Tu pleures !
— Hein ?
À son tour, elle porte ses doigts sous ses yeux et les ramène mouillés.

La sensation est étrange : elle pleure si rarement qu'elle ne se rappelle pas la dernière fois, ou bien ce que c'est censé faire. Absorbée par la musique, elle n'a rien remarqué. C'est comme si ses larmes silencieuses étaient tombées à son insu. Mais Joshua insiste :
— Alors, tu me dis ce qui se passe ?

Le regard de Blanche se pose sur l'écran de son ordinateur où la playlist s'étire, mais pas assez loin : elle aurait voulu qu'elle n'ait pas de fin.
— J'étais en train d'écouter le nouvel album de Yoshiki qui vient de sortir. C'est un album instrumental, classique, et c'est...
La bouche ouverte, elle cherche le mot qui qualifierait le mieux ce qu'elle vient d'entendre. Elle n'est pourtant pas sûre qu'il en existe en anglais, qu'elle apprend, ou même en français, ou n'importe quelle langue.
— ... merveilleux, magnifique, splendide, sublime... c'est la chose la plus belle que j'aie jamais entendue.

Les étoiles qui scintillent toujours au fond de ses yeux s'illuminent encore, tandis qu'elle s'emballe :
— Et quelle émotion. Ça doit être ça ! C'est parce qu'il y a tant d'émotions dans la musique. Forever love ! Et c'est la plus belle version de Tears. On sent toute la tristesse de Yoshiki dans les notes de son piano. Ça parle de la mort de son père. Et quand tu ajoutes les violons, c'est...
Elle s'arrête au milieu de son souffle car, à nouveau, elle ne sait pas comment exprimer tout cela verbalement.

Joshua, quant à lui, paraît soulagé. En voyant l'adolescente pleurer, il avait craint quelque chose de grave, un problème, voire un drame. Mais Blanche, subjuguée, bouleversée, traite cela comme s'il s'agissait de l'histoire de sa vie.

— Tiens, écoute !
D'autorité, elle ajuste le casque sur les oreilles du jeune homme.
— Je sais que tu es plutôt jazz, mais franchement, on ne peut pas rester indifférent. C'est Red Christmas, et elle est sublimissime !
Elle hoche la tête avec un sourire et ajoute :
— Un jour, j'irai au Japon et j'assisterai à un concert pour entendre tout ça en vrai !
Ce n'est pas un rêve, pas même un projet : sa voix est si catégorique que c'est une certitude.

Tokyo by nightWhere stories live. Discover now