Chapitre 5

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Ma déclaration n'étonne pas plus que cela mon auditoire. Personne alentour ne bronche durant plusieurs secondes, mais je me désintéresse bien vite des badauds pour me focaliser sur mon interlocuteur premier. Les yeux aussi foncés que ceux de sa fille, le patriarche ne dévie pas des miens. Il semble réfléchir au déroulement de ses explications.

Pensif, son regard franc fait trois fois la navette entre ma personne et Eleuia, une attitude qui accélère significativement mon rythme cardiaque. La belle brune feule tout bas en observant son père plutôt que moi, et ce dernier hausse un sourcil équivoque à son adresse. Un nouveau grommellement s'élève alors, plus clair que le précédent, toutefois le chef ne commente pas et se penche plutôt vers moi.

— Je tiens d'ores et déjà à vous avertir, Allan, que je ne peux parler qu'en mon nom, qu'au sujet de mon histoire personnelle, débute-t-il, sans faire cas de mon air ahuri après l'étrange échange qui vient d'avoir lieu. Les habitants de ce manoir pourront combler les trous dans mon discours à la moindre occasion, bien sûr. Quelques précisions supplémentaires ne seront sans doute pas de refus.

Il sourit aux silhouettes au-dessus et derrière lui, comme pour les remercier par avance pour leur aide et leur soutien. Je hoche la tête, puis j'attends qu'il poursuive.

— Peut-être faudrait-il que je commence par de plus amples présentations, raisonne-t-il avec un sourire plus discret. Je viens tout juste de me rappeler que je ne vous ai même pas donné mon nom.

Il rit, gêné par cette étourderie.

— Je me prénomme Necahual, et je suis né dans la cité de Pomoná. Si vous êtes assez féru de géographie comme moi, vous aurez compris que je suis originaire du Mexique, tout comme ma fille, Eleuia.

De concert, nous jetons un coup d'œil à la susnommée. Les traits toujours crispés, elle nous inspecte elle aussi, sans pour autant intervenir ou s'avancer en direction de son père. Campée sur ses pieds, la jeune femme n'a visiblement pas l'intention de bouger ou de nous apporter ses lumières.

— Oui, on remarque tout de suite vos ascendances amérindiennes, me permets-je de dire en revenant sur le visage de Necahual.

— Je vous l'accorde, il est difficile de passer à côté. Mais savez-vous que cette cité n'existe plus aujourd'hui ?

— Non... Je l'ignorais.

— Tout ce qu'il en reste désormais, ce sont quelques ruines, m'informe-t-il encore, le regard au loin. C'était une cité maya, pas aussi prospère et glorieuse que celle de Chichén Itzá ou même de Tikal, mais nous y étions bien.

Un rictus mélancolique apparaît sur ses lèvres lorsqu'il glisse vers l'air insondable d'Eleuia.

— La vie était plus simple à l'époque. La culture du maïs et du cacao étaient prospères, nous faisions d'ailleurs énormément de troc avec les cités voisines plus petites. Nous nous entendions bien avec ces peuples. Nous avions créé des alliances avec nombre d'entre eux pour assurer nos sécurité et prospérité respectives.

— Attendez, vous...

Mon interruption ne semble cependant pas être entendue par Necahual qui continue son discours déroutant.

— Nous étions doués pour tisser le coton et travailler des métaux comme l'or ou l'argent pour créer des bijoux et parures. Une poignée de personnes ici et dans des maisons amies s'adonne encore à cette pratique, par goût et par nostalgie, évidemment...

— Mais vous ne... ça ne se peut pas.

Un nouvel accès de panique fouette mon sang et je sens mes yeux s'écarquiller tant l'énormité de ses révélations m'affole.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant