Chapitre 11

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L'intensité de cette première semaine d'immersion m'a laissé sur les rotules et le cerveau rendu à l'état de bouillie, dès deux heures de l'après-midi. Mes journées commencent tôt pour se finir tard, accompagnées d'un nombre incalculable de données et d'informations sur le monde surnaturel et leurs êtres. J'ai d'abord commencé mon tour d'horizon avec les berserkers, je me suis familiarisé avec leurs anciennes coutumes et croyances nordiques. Puis je me suis consacré à leur mode de pensée et d'action qui n'est pas sans rappeler la fidélité et la dangerosité des loups. Ensuite, j'en ai un peu plus appris sur les sorcières et sorciers et ai même été témoin de certaines pratiques, par exemple un retour de vitalité chez un chêne, ou la manipulation d'une tempête et de la pluie.

D'un autre côté, Sander prend grand plaisir à me faire monter sur le ring et m'apprendre, entre deux-trois coups bien sentis, à me défendre et à développer ma force et mes instincts.

Deux de ses amis proches nous ont d'ailleurs rejoints lors de mon troisième jour entre ces murs. Elias et Reun, respectivement sorcier et hybride mi-berserker mi-humain, participent à certaines de mes leçons en tant qu'intervenants extérieurs. Le feeling n'est pas tout de suite passé entre nous – notre appréhension mutuelle nous a bloqués dans un premier temps pour sympathiser –, mais ma perpétuelle envie de mieux comprendre ceux qui m'entourent et leur désir de m'apprendre leur parcours personnel ont fini par briser la glace.

Et ce matin, tandis que nous prenons notre petit-déjeuner au réfectoire – un de nos nombreux rituels, à nous autres, hommes de notre groupe –, la discussion porte sur la guerre des Boers, durant laquelle Elias a affronté, en tant que membre de l'armée britannique, les fermiers africains blancs du sud du continent, entre 1899 et 1902. Très vite toutefois, alors que le sorcier nous relatait en détail les raisons qui ont poussé les troupes de Sa Majesté à la riposte, Reun et Sander se sont immiscés dans son discours, à grand renfort de contre-arguments. Une querelle, vieille de plusieurs décennies déjà, a donc éclaté entre eux, les uns rappelant l'usage de la politique de la terre brûlée* des britanniques et ses déplorables conséquences, l'autre assurant le bon droit anglais à mettre tout en œuvre pour se défendre et remporter la victoire finale, encore très controversée aujourd'hui.

Assis, le dos enfoncé contre ma chaise et une tasse fumante à la main, j'écoute leurs échanges tantôt houleux, tantôt railleurs, et souris par-devers moi. À les entendre chahuter et user de grands gestes pour appuyer leurs dires, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'ils agiraient tout aussi puérilement s'ils polémiquaient autour d'un match de foot... Le sujet du jour a beau être plus sérieux, leur attitude boudeuse et irritée n'est pas sans rappeler celle de ces fans de sport incapables d'admettre la défaite de leur équipe préférée.

— Qu'est-ce qui vous arrive les garçons ? On vous entend depuis le couloir est.

Vêtue d'une longue robe sombre qui lui tombe jusqu'aux pieds – son vêtement de prédilection, si j'ai bien compris, à force de la voir habillée ainsi –, Gillian nous observe tour à tour depuis l'extrémité de la table. Un fin sourire pare son visage avenant et séraphique. Ses longs cheveux de blé balayent son dos à chaque oscillation de sa tête et miroitent sous les puits de lumière dorée issus du plafond.

— Salut, Gillian ! l'apostrophe Reun avec un signe de la main. Comment vas-tu ce matin ?

— Bien, merci. Quel était le sujet de votre conversation avant que je vous interrompe ?

— La guérilla des Boers, lui répond Elias dans un marmonnement contrarié.

Je lève les yeux au ciel devant cette réplique et les sourires fiers des berserkers en face de moi. L'arrivée de la sorcière sonne la fin de leur affrontement et l'impossibilité pour Elias de surenchérir une dernière fois. Cependant, cela ne le retient pas d'adresser un regard noir à Reun et Sander ainsi que quelques mots dans une langue aux intonations rudes.

Anien Don I - Entre Deux MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant