5. Margot : Voler

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J'ai essayé malgré tout. J'ai essayé de tenir le cap. J'ai essayé pour toi. Je me rappelle encore le pacte que nous avions passé. Ne pas abandonner sans l'autre. Pendant trois ans consécutifs, je n'ai pas cessé de me le répéter en boucle. Mais le poids qui pèse sur moi depuis 2 ans est bien trop lourd. La maladie nous a enlevé presque toute notre vie : il ne nous restait que 3 ans. Les éléments engendrés par la maladie m'ont enlevé 1 an et plusieurs mois. Pour résumer, ma vie s'arrête ici. Je quitte ce monde. Ce soir.

Je tenais d'abord à te faire cette lettre d'adieu. Ma sœur. Ma jumelle. Ma moitié. Tu étais tout pour moi. Tu as fini par me lâcher. Je ne t'en veux pas. Tu devais endosser les mêmes choses que moi : le cancer, la pitié des autres, le désespoir d'une vie raccourcie. Moi en plus, cela faisait trop. Je te suis admirative de t'être accrochée alors que tout portait à croire que c'était fini. Les gens ont raison de croire en ton combat. Les gens ont raison de croire en toi.

Tu es magnifique. Tu n'as pas eu besoin de toute une vie pour te rendre éblouissante.

Je ne sais pas quoi te dire d'autre. Je me sens tellement lamentable à côté de toi. Je n'ai plus la force de faire face à l'avenir, alors que toi, tu continue à être triomphante face au cancer.

Ce soir, j'aimerais te dire un dernier « Bonne nuit. ». Mais je ne peux pas. Je sais que je n'arriverais pas à te quitter. Je me blottirais contre toi, et je n'aurais plus le courage de partir. Je ne peux pas me permettre de rester. J'ai pris ma décision. Ce soir, je pars.

Je suis montée sur cet immeuble. Je suis arrivée sur ce toit. Notre "cabane magique". La-haut, on voyait tout notre monde, tout notre univers. J'ai toujours voulu voler. Je vais enfin réaliser mon rêve dans les dernières secondes de ma vie. Je vais enfin pouvoir m'évader de cette vie que je subis. Je veux me délivrer.

Avant ça, j'ai besoin de chanter une dernière fois cette chanson. Cette chanson que j'ai tant aimé te fredonner le soir dans ton lit, cette chanson que j'ai tant aimé vivre avec toi quand tu m'accompagnait à la guitare. Je la chante à présent pour moi, pour cet avenir sinistre qui m'attend.

"So many years searching for these words,
Words so simple, yet so violent,
Words that bless, words that love,
A whole story resides in them
Can they carry such a heavy weight?
I don't know, but know that I love you."

Quand j'ai chanté la dernière phrase, ma voix s'est cassée. J'aurais aimé ressentir cette chaleur si apaisante que ressente les personnes qui ont été attrapées par l'amour. Les personnes qui peuvent voir le soleil se lever sans aucune once de tristesse. Si seulement...j'avais vécu autrement. Si seulement...

Quand tu liras cette lettre, ne t'énerve pas contre le cancer. Ne le maudis pas. C'est lui qui m'a aidé à sauter le pas. Je n'ai jamais été bien dans ma peau. Je n'ai jamais aimé ma vie. Je ne me suis jamais aimée, moi. Petite, j'étais pour les autres une ombre. Petit à petit, je suis devenue "la soeur de Lia". Personne ne m'a jamais remarqué. C'est triste à dire, mais j'en viens à croire que mon existence n'a servi à rien.

Qui pourra dire le contraire ? Je ne suis rien. Je ne suis personne.

Les mots n'arriveront surement pas à décrire ce que j'ai pu ressentir. Je n'arrivais surement pas à faire sortir de cette feuille ce que j'ai pu traverser. Mais voilà. Ma seule façon de gagner l'immortalité est d'écrire. Car ces lignes sont pour moi une délivrance. De pouvoir expliquer ma vie sur ce papier, c'est comme si je m'ouvrais pour la première fois à toi, en te montrant qui je suis vraiment.

Mais maintenant, ce que tu as besoin de savoir, c'est juste que je n'en peux plus.

J'en ai marre de supporter tout ça depuis si longtemps. J'en ai marre de cette existence.

Je veux savoir ce que procure la sensation du vide.

Je veux voler.

Dans le videWhere stories live. Discover now