Chapitre 2

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C'est à bout de souffle qu'Emna entra dans ce bâtiment qu'elle ne regardait même plus, depuis le temps. Elle le connaissait, intérieur comme extérieur, par cœur, aussi bien qu'elle connaissait son appartement ou encore la maison de sa mère. Rapidement et sans avoir eu l'occasion de respirer à nouveau, la jeune femme s'installa derrière le comptoir, résignée à l'idée de devoir commencer, une fois de plus, son service. Si elle n'était pas coincée ici pour une durée encore indéterminée, Emna aurait apprécié l'ironie de la situation ; si au début elle était choquée de certaines choses et était prête à se battre pour les changer, elle n'était aujourd'hui qu'une personne blasée et habituée par les mauvais côtés d'un métier qu'elle n'aimait pas et qu'elle ne faisait que par nécessité. Le souvenir de son premier jour au « Mir'acle » était encore bien ancré dans la mémoire de la jeune femme et se rappeler d'à quel point elle fut choquée par son uniforme sexiste et presque dégradant l'était encore plus. Aujourd'hui, elle ne regardait même plus ni son décolleté vertigineux ni ses talons beaucoup trop hauts pour elle avec lesquels elle avait dû apprendre à marcher sous peine d'être renvoyée sans avoir eu le temps de commencer son travail : l'habitude l'avait envahie.


- Whisky.


C'est par pur automatisme qu'elle s'empara d'un verre, le remplissant du liquide demandé avant de le servir au client. Cela faisait bien longtemps qu'Emna n'avait plus besoin de faire attention à ce que ces mains faisaient.

La soirée s'enchaîna et, avec elle, dès lors que la jeune femme dut aller servir en salle, des lots entiers de mauvaises aventures. Elle ne compta même pas le nombre d'hommes lui ayant touché, que ce ne soit qu'avec les yeux ou avec les mains, les fesses ou, pour les plus aventureux, les seins. Elle ne compta pas plus les remarques et techniques de drague, hasardeuses ou grivoises, d'hommes qui cherchaient soit à impressionner, soit juste à montrer le taux d'alcoolémie présent dans leur sang. Quoi qu'elle veuille faire, Emna devait garder à l'esprit qu'elle n'avait pas le droit de répondre de manière méchante aux clients, quoi qu'ils fassent. Ils étaient trop précieux pour que le bar accepte de s'en séparer.


- Hey la serveuse ! T'as quelqu'un ou pas ?


Ne pas répondre. Si Emna avait bien appris quelque chose, c'était que répondre ne servirait à rien d'autre que de la fatiguer encore plus.


- Tu pourrais répondre hein !


Juste éviter cet ivrogne de plus n'était pas si dur que ça, elle pouvait aisément le faire avec la force que lui octroyait l'habitude.


- Bah alors quoi, il est impuissant c'est ça ?


Pourquoi y-avait-il autant de gens, ce soir-là ? Éviter ce genre de personne était d'ordinaire si simple !


- Tu sais minette, je peux le remplacer moi hein !


La foule se dissipa un peu et Emna réussit à s'enfuir. Elle n'avait pas peur de ce genre d'homme, non, mais elle avait bien trop peur de perdre son travail.

Les dix petites minutes de pause auxquelles chaque employé avait droit firent à la jeune femme l'effet d'une renaissance tant elle en profita pour sortir et avoir droit au silence de la nuit, ainsi qu'à son vent quasi inexistant et à sa fraîcheur. Malheureusement, elle ne se rendit compte que trop tard qu'elle avait oublié ses cigarettes mais, dans son malheur, elle eut la chance de voir que c'était Rébecca qui, ce soir-là, prenait sa pause en même temps qu'elle.

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