Le Truc

Epilogue

Accompagnée de sa fille âgée de six ans, Emna faisait ses courses, regardant et comparant avec attention les prix afin de réduire au mieux la dépense qu'elle s'apprêtait à faire. Ayant l'habitude d'accompagner sa mère, Laure allait parfois chercher des produits pour les mettre dans le caddie. Intelligente, elle connaissait les quelques produits qui ne changeaient jamais et, lorsqu'elle ne faisait pas des allers et retours, elle allait flâner dans les rayons de jouets ou encore dans les rayons de livres, sans jamais oublier de prévenir sa mère au préalable.

Emna était justement seule lorsqu'elle croisa, au détour d'un couloir, l'un de ses vieux amis : Abel. Elle espéra de toutes ses forces que ce n'était qu'un hasard et qu'il ne la reconnaîtrait pas mais ses vœux ne furent pas exaucés.

- Emna ?

Elle choisit d'opter pour la solution « Je ne vois pas de quoi vous parlez. ».

- Excusez-moi mais je crois que vous vous trompez de personne.

Il eut un rictus, comme s'il s'était exactement attendu à cette réaction. Après tout, même après toutes ces années, il devait encore bien la connaître.

- Tu vois très bien de quoi je parle, tu veux juste m'éviter. Je serais même prêt à parier que ta nouvelle couleur de cheveux y est pour quelque chose.

Emna s'apprêtait à l'envoyer paître de la plus belle des manières, mais elle n'en eut pas l'occasion puisqu'il continua son monologue.

- Rose ? Sérieusement ? Tu détestes le rose !

Elle espérait pouvoir s'en sortir en fuyant, récupérer sa fille et partir rapidement mais, comme un malheur n'arrive jamais seul, c'est ce moment-là que choisit Laure pour arriver en criant.

- Maman ! Regarde ce que j'ai trouvé !

Elle montra à sa mère un petit livre avec un personnage marrant sur la couverture. Décidément, cela était une demande d'achat, mais Laure ne posa même pas la question puisqu'elle devint muette comme une carpe en voyant l'inconnu. Ce dernier, par ailleurs, semblait passablement choqué.

- Tu as... une fille ?

Emna répondit en grinçant des dents.

- A l'évidence.

Abel se tourna vers la petite fille. Si ses yeux ou ses cheveux rappelaient ceux de sa mère, les formes du visage, du nez, de la bouche ressemblaient avec une exactitude désarmante celles de celui qu'il pensait être le père. S'agenouillant devant la fille pour être à sa hauteur, il engagea la discussion avec elle.

- Bonjour, je suis Abel, un ami de maman. Comment tu t'appelles ?

De sa petite voix fluette et timide, elle répondit.

- Je m'appelle Laure.

- Et tu as quel âge ?

- Six ans !

Toute fière, Laure montra six de ses doigts. Abel croisa le regard de son amie d'antan. Elle savait qu'il avait compris et il savait qu'elle-même le savait.

- Est-il possible qu'on aille boire un verre, s'il te plait, en souvenir du bon vieux temps ?

Emna commença à stresser. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas, elle avait été détruite et, même si Abel n'y était pour rien, il faisait partie du tout qu'elle s'efforçait d'oublier.

- Je n'ai personne pour la garder, je ne peux pas, désolée.

Elle désigna Laure d'un simple signe de tête. Il s'agissait évidemment d'un honteux mensonge mais elle ne se sentait pas prête à devoir faire face.

- Je connais quelqu'un qui...

- Non !

Certaines personnes se retournèrent vers le petit groupe de trois personnes.

- Je ne veux pas que des connaissances à toi la gardent ! Je ne les connais pas et je ne suis pas conne ! Je ne veux pas que tu lui refiles !

- Calme-toi, je pensais juste à mon compagnon. Il adore les enfants et il est digne de confiance.

Ils se regardèrent quelques secondes sans parler. Au milieu, Laure ne parlait pas et regardait la scène sans vraiment comprendre.

- Il n'y a vraiment personne ? Je ne te demande qu'un verre, quinze minutes tout au plus.

- Et je ne te demande que la paix, pour l'éternité tout au plus !

Abel rigola, avant de se reprendre. Il avait besoin de savoir, c'était presque vital. Emna lui manquait.

- S'il te plait, j'ai besoin de comprendre.

Il semblait tellement sincère qu'Emna en eut mal au cœur. Rapidement, elle lui donna un lieu et une heure de rendez-vous avant de partir vers la caisse, non sans avoir pris sa fille par la main auparavant. Abel la regarda partir, le sourire aux lèvres. Bientôt il saurait. Enfin il comprendrait.

Lorsque Emna en parla à Hélène, cette dernière hésita sur sa réponse. Devait-elle la pousser à relier ces liens oubliés ou devait-elle la laisser tourner la page ? En fin de compte, elle se décida à obliger sa petite-amie à bouger. Hélène garderait Laure. Emna avait rendez-vous avec son passé et il n'y avait pas de raison de s'inquiéter. Celle qui, jadis, fuyait toujours, avait bien changé.

Le jour de leur rendez-vous, Emna se rendit compte en arrivant que Abel l'attendait déjà, attablé en terrasse. Il attendit patiemment qu'elle soit assise pour lui poser la seule question qui lui importait.

- Pourquoi ?

Elle le dévisagea.

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi es-tu partie ?

Abel s'était toujours posé la question. Après la disparition de Emna, ils avaient tenté de la retrouver pour avoir une raison plus complète que les quelques mots qu'elle leur avait laissés, en vain. Seul Ronan avait continué à chercher mais il fut rapidement bien obligé d'arrêter lui aussi. Et voilà que, six ans plus tard, Abel tombait sur Emna et sa fille. Il n'en avait pas parlé à Janis et Ronan pour le moment. Seul Mike avait été mis au courant mais celui-ci n'avait rien dit.

Après six ans, il allait enfin comprendre.

Après six ans, Emna était prête à assumer ses erreurs et à les réparer.