Riséd

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Albus était épuisé.

Le jeune homme enleva ses lunettes et passa une main lasse sur ses paupières. Il ne parvenait plus à lire quoi que ce soit, les mots dansaient, flous, devant ses yeux. Il n'en pouvait plus, se concentrer était impossible.

Il traquait en vain la moindre mention de Grindelwald dans tous les journaux depuis qu'il était retourné à Poudlard, les paroles de son frère résonnant dans son esprit. Comment avait-il pu être aussi bête ? Comment avait-il pu être aussi crédule ? Une fois de plus, il s'était simplement persuadé de ce qu'il souhaitait croire. Il avait voulu penser qu'il n'entendrait plus jamais parler de Gellert, l'avait difficilement enfoui au fin fond de sa mémoire, préférant s'imaginer que son ancien amant avait abandonné ses projets.

De toute façon, il ne servait à rien de chercher. Albus ne doutait pas que Gellert, avec son charisme et son sens de la mise en scène, ne resterait pas longtemps dans l'ombre.

Le professeur se leva et s'approcha de la fenêtre. La lune s'était levée sur le lac du château. Malgré sa fatigue, Albus savait qu'il ne parviendrait pas à dormir. Ses remords le hantaient plus vivement que depuis des années et la nuit ne ferait rien pour les apaiser.

A chaque point du jour, lorsqu'il était plongé dans cet état si particulier, entre veille et sommeil, entre bonheur et nostalgie, il osait rêver que Gellert était couché à ses côtés, qu'il n'aurait qu'à tendre la main pour le toucher. Chaque matin, lorsqu'il ouvrait les yeux, le prénom de sa sœur était le premier mot qui franchissait ses lèvres, tout doucement, à peine murmuré, comme un rappel, comme une punition, pour se souvenir qu'elle ne serait plus jamais là. Par sa faute. Chaque jour, il tentait de noyer la moindre réminiscence d'un passé révolu en se plongeant à corps perdu dans son travail. Chaque soir, il essayait de se réconcilier avec son frère, qui lui renvoyait inlassablement sa faiblesse et ses erreurs au visage. Chaque fois que les étoiles se levaient, lorsqu'il se glissait entre les draps de son lit, il se laissait aller à se remémorer, à évoquer les traits fins de son ancien amant. Chaque nuit, il rêvait de moments meilleurs, d'une époque où sa famille était encore à l'abri du malheur, où les rides de tristesse étaient absentes du visage de sa mère, où la voix caverneuse de son père résonnait encore dans toute la maison, où le seul sujet de dispute entre son cadet et lui était le choix de l'histoire du soir, où Ariana était une petite fille gaie, curieuse, pleine d'énergie...et surtout, en vie. Chaque réveil était douloureux, lorsque ses chimères s'évaporaient, le laissant seul avec le poids de sa honte.

Il aurait aimé que la douleur s'atténue avec le temps... Oh, pas celle d'avoir tué Ariana, par son orgueil et son aveuglement... celle-là, il la méritait... Mais oublier Gellert plus d'une journée... Ne pas regretter celui qui avait détruit sa famille. Plus que tout le reste, son amour pour un mage noir, un assassin, un meurtrier, était une preuve éclatante de son abomination.

Et dire qu'il avait cru réussir ! Il avait cru, pas s'être débarrassé de ses sentiments pour lui, mais ne plus y penser, ne serait-ce que quelques instants, l'espace d'une journée ! La nuit, oui, il le reconnaissait, il se révélait incapable de chasser ses souvenirs doux-amers, mais dès qu'il se réveillait vraiment, il consacrait toute son énergie à ses élèves, toute sa volonté à effacer de ses préoccupations jusqu'au nom même de son amant.

Cela avait fonctionné, pendant un temps. Jusqu'à ce qu'Albus entende à nouveau parler de lui, jusqu'à ce qu'il apprenne que le mage noir avait continué leurs projets, seul. Dès lors, il savait que Grindelwald ne lui laisserait aucun répit, qu'il ferait tout pour l'empêcher de freiner son ambition de faire régner les sorciers "pour le plus grand bien".

Le professeur savait aussi que plus un jour ne s'écoulerait sans qu'il lise son nom dans les journaux, associé aux plus grandes horreurs, que tous les efforts qu'il ferait pour l'oublier seraient vains, dorénavant, que plus un instant ne s'écoulerait sans qu'il pense à lui.

Albus soupira et ouvrit la porte, se glissant dans les couloirs sombres sans un bruit. D'habitude, il se trouvait toujours deux ou trois élèves assez inconscients pour braver le couvre-feu, des amis de maisons différentes qui souhaitaient se retrouver, des curieux qui préféraient explorer Poudlard plutôt que de dormir, ou des amoureux profitant d'une promenade au clair de lune, mais ce soir-là, le château était désert. Il ne croisa ni concierge, ni fantômes, ni même Peeves, l'esprit frappeur de l'école.

Le jeune homme se contenta d'errer sans but dans l'école qu'il aimait tant, s'efforçant d'échapper au tumulte de ses pensées, tout en sachant qu'il n'y parviendrait pas.

Il voulait se réconcilier avec son frère, bien qu'il ne le méritait pas.

Il traversa un couloir faiblement éclairé, aux parois lisses, la longue litanie de ses souhaits, tous aussi irréalisables les uns que les autres, se déroulant implacablement.

Il voulait revoir ses parents, bien qu'ils soient morts.

Le corridor se terminant en impasse, il fit demi-tour.

Il voulait s'excuser auprès de sa sœur, bien que rien ne puisse réparer son acte.

Il voulait...

Plus que tout, il voulait revoir Gellert.

Albus se figea. Il avait aperçu une petite porte qui, il l'aurait juré, n'était pas là lorsqu'il était passé la première fois. Il était même certain de ne l'avoir encore jamais remarquée au cours de ses promenades nocturnes.

Intrigué et distrait momentanément de ses sombres pensées, le professeur posa la main sur la poignée et la tourna. La porte s'ouvrit facilement, sans un bruit. Albus se glissa dans l'interstice.

Il s'agissait d'une pièce spartiate, qui avait l'air d'une salle de classe désaffectée. Le jeune homme voyait la forme indistincte de pupitres et de chaises avalés par l'obscurité. Il y avait également une corbeille à papiers retournée. Il remarqua aussi, appuyé contre le mur d'en face, quelque chose qui ne semblait pas appartenir au mobilier habituel d'une salle de classe, quelque chose que quelqu'un avait dû ranger là pour s'en débarrasser. Ou au contraire, pour le soustraire à la curiosité des élèves. L'objet, qui montait jusqu'au plafond, était recouvert de velours noir.

Albus sortit sa baguette prudemment et s'approcha de l'objet. Après un instant de réflexion, il fit tomber le rideau qui le dissimulait.

C'était un miroir magnifique avec un cadre d'or sculpté, posé sur deux pieds pourvus de griffes, comme des pattes d'animal. Une inscription était gravée au-dessus.

"Riséd elrue ocnot edsi amega siv notsap ert nomen ej".

Albus contempla le miroir, qui lui renvoyait le reflet d'un jeune homme aux longs cheveux auburn emmêlés, et aux yeux bleus soulignés d'épaisses cernes.

Puis l'image se modifia, se troubla, laissant apparaître une silhouette, qui, à mesure qu'elle gagnait en précision, devenait petit à petit familière.

Riséd elrue ocnot edsi amega siv notsap ert nomen ej.

Albus blêmit et essaya de se détourner.

Riséd elrue ocnot edsi amega siv notsap ert nomen ej.

Il échoua. Il n'avait pas la force de se détacher de l'image qui se formait.

Riséd elrue ocnot edsi amega siv notsap ert nomen ej.

Il savait.

Il savait ce que le miroir allait lui dévoiler.

Je ne montre pas ton visage mais de ton cœur le désir.

Il aurait dû partir.

Il voulait partir.

Je ne montre pas ton visage mais de ton cœur le désir.

Il resta.

Je ne montre pas ton visage mais de ton cœur le désir.

Il voulait le revoir.

Juste une fois.

Une.

Seule.

Fois.

Le temps d'un rêveМесто, где живут истории. Откройте их для себя